mercredi 24 août 2022

Là où je nous entraîne d'Isabelle Desesquelles



Date de parution : 24 août 2022 chez J.C. Lattès
Nombre de pages : 286

" Impérieuse et vaste notre mère ne me quitte pas. Elle a dynamité mes huit ans et ils sont là entiers quand j'écris, 8 c'est l'infini debout."

Un jour de l'été 1976, une enfant de huit ans lit un roman. La mère de son héroïne est malade mais à la fin elle guérit, l'histoire se termine bien. Le lendemain, on annonce à l'enfant que sa propre mère est à l'hôpital, elle est alors toute excitée de devenir l'héroïne d'une histoire qui hélas ne se termine pas de la même façon, sa mère meurt. 

Ce drame a créé la romancière qu'est devenue Isabelle Desesquelles. Quarante six ans plus tard, elle imagine une famille corse, deux petites filles Rachel et Paulina et leurs parents Louis et Zabé qui, un jour d'été, voient leur existence bouleversée par un secret venu du passé. Cette famille inventée entraîne l'auteure là où elle ne pensait pas aller : écrire les siens, écrire comment leur bulle a éclaté un jour d'été. "En racontant la famille corse je touche à la nôtre". Dans ce nouveau roman, Isabelle Desesquelles entremêle donc une fiction et sa réalité exprimée à la première personne.

Ce roman est la clé et l'aboutissement de l'œuvre d'Isabelle Desesquelles. Livre après livre elle a raconté l'enfance foudroyée, l'explosion d'une bulle familiale un jour d'été. De livre en livre, elle a exploré la question de l'absence, du deuil impossible, de la place que prennent les morts, de la perte de l'enfance et de l'innocence avec des personnages principaux dont la vie basculait un jour de l'été de leurs huit ans " Il n'y a pas de personnages, il y a des êtres nourris au lait du souvenir ...  Ce jour est devenu obsédant, matière romanesque."

Ici elle lève le voile sur sa propre histoire qui a nourri ses différentes fictions, le drame qui a foudroyé un 25 août 1976 la petite fille de huit ans qu'elle était : la mort de sa mère. Ce jour-là elle a créé un monde sur lequel règne l'enfantôme, son double, son prolongement "une petite fille a commencé d'écrire dans sa tête où l'on est deux, l'enfantôme et moi." Elle explore ses sentiments, le manque, la culpabilité de ne pas avoir su retenir sa mère et se livre à une véritable enquête littéraire en se plongeant dans ses souvenirs, dans les lettres et photos de sa mère et en s'efforçant de vaincre les silences de son père. Elle a prévenu son père et sa sœur qu'elle allait écrire et publier leur histoire car pour elle, "le temps est venu... la fiction ne suffit plus", les cacher, elle et sa sœur, derrière des personnages de fiction ne lui suffit plus, elle ne peut plus avancer masquée.

Il est question de la place que prennent les morts " Il faut faire attention avec nos morts, parfois ils prennent tellement de place, on en oublie les vivants.", phrase qui fait écho à celle de "Je voudrais que la nuit me prenne"Si on les laisse faire les absents ont raison de nous et ils nous possèdent.". Ne pas les laisser prendre trop de place mais ne pas les oublier "Contourner une absence ne suffit pas à l'éviter. Il faut parler des morts, c'est assez de les mettre dans une boîte ou de les éparpiller. Nous sommes les restes de nos morts."

Au fil de deux histoires qui se nourrissent et s'éclairent mutuellement, celle de la famille corse et la sienne, Isabelle Desesquelles nous livre des réflexions très riches sur la littérature, sur l'effet de l'écriture sur la famille "l'écrivain est cette mèche allumée sur un baril de poudre, la famille", sur le métier de traductrice à travers l'histoire de Zabé obsédée par Tolstoï, sur le métier de libraire, sur la frontière entre réalité et fiction qu'elle a explorée dans ses romans. Elle se considère comme un pont suspendu entre réalité et fiction qui sont pour elle des partenaires et non des adversaires. "Fictionner le réel. Le roman, traduction romanesque d'un drame vécu, avec un prolongement : ce qui aurait pu arriver. Tout ce que l'on se raconte." 

" Echeveau détricoté, une maille à l'envers, une maille à l'endroit, une de réel, une de fiction, et je suis la seule à connaître la vérité, m'en sens protégée."

La fiction autour de la famille corse Zabé, traversée par la Natacha de Tolstoi, est centrée sur une histoire de jalousie après la découverte d'un souvenir caché. Ici ce n'est pas une mère qui est en danger mais c'est un père que la jalousie transforme en danger pour sa famille. La plongée de Louis dans la folie sous l'emprise de la jalousie, la "voix mauvaise" qui s'empare de lui et le transforme en un Luiiii injurieux, est saisissante et le dénouement magistral. Une fiction forte et violente alors que l'histoire réelle est apaisée.

Comme toujours avec Isabelle Desesquelles, l'émotion parfois l'uppercut est au rendez-vous au détour de chaque page. L'écriture est ciselée et sensorielle. Les pages sur sa mère, " Ce que je retiens d'elle... Ce que je tiens d'elle" sont d'une absolue splendeur. Ce roman est un régal comme d'habitude. Une construction au cordeau où fiction et réalité se mêlent sans jamais nous perdre. Un roman qui plaira même si on ne connaît pas l'œuvre d'Isabelle Desesquelles.

Pour Cathulu, Isabelle Desesquelles est à son meilleur dans ce roman.

Ce roman est sélectionné pour le prix du roman Fnac.


Citations : 

" L'impensable on l'écrit de toute façon, et avec un peu d'imagination on en fait ce que l'on veut, ce que l'on peut. Te chercher, brûler, t'inventer sous mes yeux, je l'ai fait livre après livre."

" Une mère se tue, elle tue l'enfant en vous."

" On avait perdu notre mère, perdu beaucoup de notre père, on est devenue le bouclier l'une de l'autre."

" Ma morbidité heureuse c'est d'écrire."

" Je la convoque un peu trop souvent, elle aura été le membre de la famille le plus présent, j'ai essayé de ne pas en faire état plus que de raison ma déraison, ne pas la dire à voix haute, c'est entre l'enfantôme et moi. D'un métal en fusion, il sort une lumière, on est des électrons libres."

"Je n'ai cessé de réfléchir à ce qui n'est pas un choix, mais disons un acte. Je ne l'ai jugée ni faible, ni courageuse, je ne la juge pas. je suis avec elle."

" Il y a une symbiose à vivre avec ceux que l'on écrit, tenter de les faire vivre. J'ai tout fait pour me rapprocher de notre mère, faisant de la perte un butin. Un doux revivre."

" Ils ont cet amour ma sœur et notre père de ne rien empêcher qui pourrait être écrit, ils ne m'autorisent pas, ils m'aiment. J'écris et je nous pèle à vif, faisant fi d'une part secrète qui leur appartiendrait."


L'auteure 


Isabelle Desesquelles est notamment l'auteure de "Je me souviens de tout", " Les homme meurent, les femmes vieillissent" et ""Je voudrais que la nuit me prenne", prix Fémina des Lycéens en 2018. Ancienne libraire à Paris et à Toulouse, elle a fondé une résidence d'écrivains, la maison De Pure Fiction. (Source : éditeur)

Photo :  Patrice Normand




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