Une bête au paradis de Cécile Coulon

Date de parution : 21 août 2019 aux éditions de l'Iconoclaste
Nombre de pages : 352

J'ai eu la chance de lire ce roman une première fois en mai avant sa parution et je viens d'en faire une deuxième lecture. La première fois je l'ai dévoré pressée de découvrir ce nouveau livre d'une auteure que j'apprécie tout particulièrement ; la deuxième fois je l'ai dégusté pour mieux en savourer toutes les subtilités. Et ma deuxième lecture confirme largement mon énorme coup de cœur initial. Je n'ai pas modifié une ligne de ma chronique rédigée en mai. 

Le Paradis est une ferme isolée au bout d'un chemin de terre dans une région qui n'est pas précisée et qui peut se trouver n'importe où en France. Un panneau indique "Vous êtes arrivés au paradis" . Au milieu des vaches, cochons et poules vit la famille Emard. Une famille avec "ses absents, ses défunts, ses taiseux" car la mort a frappé plusieurs fois cette ferme considérée par certains comme un endroit maudit. La grand-mère Émilienne y élève seule ses deux petits-enfants Blanche et Gabriel après la mort de leurs parents dans un accident de voiture alors que Blanche n'avait que cinq ans. Ils forment  " les morceaux d'une famille qui n'était pas celle du sang mais celle d'un drame"

Si Blanche est une guerrière comme sa grand-mère, son jeune frère Gabriel d'un tempérament rêveur reste fracassé par le drame et a sombré dans la mélancolie. Émilienne est le pilier de cette famille,  une femme forgée par la vie rude et les drames et dotée d'un solide bon sens. Vit également au sein de cette famille un jeune commis, Louis, recueilli par Émilienne un jour où il s'était réfugié chez elle pour fuir les violences de son père. Louis avait alors seize et Blanche cinq ans. A l'adolescence Blanche tombe amoureuse d'Alexandre élevé dans un foyer sans vie auprès de parents qui  "existent sans vivre". Alexandre est un jeune homme très beau et plein d'assurance. Son ambition dépasse le cadre du Paradis alors que Blanche n'envisage pas d'autre avenir que le Paradis pour eux deux. Alexandre quitte le village après son bac pour poursuivre des études de commerce laissant Blanche désespérée "Comment guérir d'un amour vivant ?". Mais Alexandre revient au village douze ans plus tard...

Ce roman est un huis-clos puissant dans lequel deux mondes s'affrontent, une sorte de tragédie grecque. Cécile Coulon sait faire monter une tension dramatique tout au long de son récit après avoir introduit son roman par un chapitre qui met le lecteur en alerte sur ce qui va se passer dans cette famille. J'ai trouvé les derniers chapitres sublimes et le final saisissant. Le roman est constitué de courts chapitres introduits par un verbe d'action, le chapitre "Pleurer" est un vrai bijou. Le Paradis est un personnage à part entière, la pierre,  les bêtes, les végétaux, les bruits, les odeurs, les couleurs, les silences des humains, le silence de la campagne, la dureté du monde paysan, les gestes de chacun, les "mains de campagne" ... tout cela est restitué à merveille. Les personnages sont tous criants de vérité, j'ai aimé la force d’Émilienne, la fragilité de Gabriel, la rage de Blanche, la souffrance et le bouillonnement intérieur de Louis (mon personnage préféré...)... Peu de personnages mais quels personnages ! 
Ce roman parle de l'amour de la terre, de l'attachement viscéral d'une lignée de femmes à la terre du Paradis, il parle aussi de désir et d'éveil amoureux, la scène qui se déroule pendant que le cochon est saigné dans la cour est inoubliable. Le tout est porté par une écriture âpre, charnelle et poétique. Un roman fiévreux dont j'imagine très bien l'adaptation cinématographique.
Une merveille ! 

Citations

" Personne ne sut que son sexe avait la même couleur que les branches de l'arbre dans la cour."

" La protéger de ce qui couvait en elle, de cet ogre impossible à nommer, échafaudage de douleur et de peine, de fierté et de résignation."

" Des robes et des pulls sombres de couleur et de présages."

" Elle avait appris à être solide, respectable, et Alexandre, avec ses grandes idées, ses grands rêves et ses tout petits mots, l'avait fait basculer."

" Ne fais jamais de mal à un plus petit, ou tu souffriras par un plus fort."

"Il y avait en lui un arbre noir depuis l'enfance, que la mort de ses parents avait arrosé de colère... Elle le rafraîchissait, le frictionnait de ses mots et de son sourire, elle le secouait pour que tombent de son âme des feuilles mortes et des fruits empoisonnés"

" Elle avait tiré ces petits des antres de chagrin où ils s'étaient enfoncés , Louis cogné par son père, Blanche et Gabriel cognés par la mort de leurs parents." 

L'auteure

Cécile Coulon est née en 1990. En quelques années, elle a fait une ascension fulgurante et a publié six romans, dont "Trois saisons d'orage", récompensé par le prix des Libraires et un recueil de poèmes, "Les Ronces", prix Apollinaire. (Sources : éditeur) 

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