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lundi 12 septembre 2016

Tropique de la violence de Nathacha Appanah



Date de parution : 25 août 2016 chez Gallimard
Nombre de pages : 174


Plongée dans l'enfer d'une jeunesse à la dérive

Plus qu'un coup de cœur!

Nathacha Appanah nous raconte ici l'histoire de Moïse, enfant des rues à Mayotte, une des îles de l'archipel des Comores, territoire concédé à la France en 1841. 
Une île oubliée de la France où affluent des clandestins à bord de bateaux, les kwassas kwassas, des désespérés attirés par ce territoire français.

Sa mère a accosté sur la plage dans un kwassa alors que Moïse n'était encore qu'un bébé. Pourvu d'une particularité physique singulière (un œil vert), il est considéré par sa mère biologique comme un djinn, une créature surnaturelle aux pouvoirs maléfiques car Mayotte est un pays de superstitions...
Sa mère l'abandonne à l'hôpital où il est recueilli par Marie, une infirmière de métropole en mal d'enfant.
Moïse va être élevé dans des conditions confortables jusqu'au jour où il apprend par Marie la vérité sur sa naissance, il rejette alors sa vie protégée de blanc et se rapproche des laissés pour compte, il veut comprendre ses origines...
Mais sa vie bascule complètement avec la mort brutale de Marie, il passe alors à 15 ans sous la coupe de Bruce, le chef de Gaza, le quartier le plus défavorisé de la ville "un bidonville, un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, un immense camp de clandestins à ciel ouvert, une énorme poubelle fumante" . Suite à un combat à mains nues, il devient "M. la cicatrice" et tombe dans un monde de violence, de misère, de crasse, de drogues, de racket...  
Moïse devient un de ces mineurs isolés qui vivent dans la rue, livrés à eux-mêmes, tenaillés par la peur, il a pour seuls réconforts son chien Bosco et son livre "L'enfant et la rivière" dont Marie lui lisait des passages.

C'est un roman polyphonique où cinq personnages se relaient pour prendre la parole, chapitre après chapitre, chacun avec son propre langage, chacun donne son point de vue même par delà la mort après qu'un drame ait eu lieu. S'expriment à tour de rôle Moïse, Bruce, Marie et Olivier le policier et enfin Stéphane, un jeune métropolitain parti pour une année de bénévolat avec une ONG avec pour mission d'ouvrir une maison pour les jeunes dans ce quartier, Stéphane qui s'écrit en arrivant dans le bidonville "Mais c'est la France ici quand même!", un jeune home à la naïveté touchante.

J'ai aimé ce morcellement du récit qui nous amène à reconstituer, au fil des chapitres, le cours des événements tragiques qui sont survenus et j'ai aimé le côté fantastique de ces morts qui sont debout près de leur corps et racontent l'histoire telle qu'ils l'ont vécue.

Nathacha Appanah qui a elle-même vécu à Mayotte de 2008 à 2010 a trouvé le bon angle de la fiction pour nous sensibiliser à la misère qui règne à Mayotte, île qui "transforme en chien, voleur ou assassin", elle ne fait pas dans le sensationnel, dans le larmoiement, ne porte aucun jugement et s'exprime dans une langue parfois douce, parfois dure dans les moments de noirceur. 
J'ai été touchée par exemple par la sublime description qu'elle fait d'un enfant qui trouve une brosse à dents "La joie de posséder quelque chose,  un objet qui ne soit rien qu'à soi, même si ce n'est qu'une vieille brosse à dents". Elle parvient malgré le contexte dramatique à nous faire visualiser la beauté de ce pays avec son magnifique lagon. 
Elle évoque la corruption des hommes politiques et leurs promesses... Elle nous fait prendre conscience de la fatalité qui conduit certains, comme Bruce, à devenir bourreau.
 
J'ai été bouleversée par ce roman très sombre dont certains passages vont rester gravés en moi, notamment la fin qui est particulièrement émouvante.
On ressort de ce roman avec un très fort sentiment d'injustice et d'impuissance.

Ce roman est retenu sur la première sélection du prix Goncourt.

L'avis de Charlotte qui parle de chef d’œuvre !


Citations
"Ce pays nous broie, ce pays fait de nous des êtres malfaisants, ce pays nous enferme entre ses entrailles et nous ne pouvons plus partir"

"C'est ce que fait un chef de guerre, il mène la troupe, il allume le feu et, quand il décide, il éteint le feu lui-même."


L'auteur

Nathacha Appanah est née en 1973 à l'île Maurice. Après de premiers essais littéraires à l'île Maurice, elle vient s'installer en France fin 1998, à Grenoble, puis à Lyon, où elle termine sa formation dans le domaine du journalisme et de l'édition. C'est alors qu'elle écrit son premier roman, "Les Rochers de Poudre d'Or", sur l'histoire des engagés indiens, qui lui vaut le prix RFO du Livre 2003.
En 2007, " Le Dernier Frère"  a reçu plusieurs prix littéraires dont le prix du roman Fnac 2007 et le prix des lecteurs de L'Express 2008. Il a été traduit dans plus de quinze langues.



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14ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2016




















Catégorie LIEU

12 commentaires:

  1. Encore un livre incontournable ! Je vais là encore me laisser tenter grâce à ta chronique.

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  2. Ravie que tu aies aimé ce roman! Il figure dans ma petite pile de rentrée. J'ai hâte de m'y plonger, ton billet-coup de coeur m'y incite fortement

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  3. On est d'accord, un livre marquant mais tellement sombre...

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  4. Il me le faut absolument celui-ci !

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  5. J'ai lu ce roman l'an dernier : ça a été un coup de coeur pour moi aussi. Ce livre illustre de manière frappante la situation sociale explosive à Mayotte, dont nous n'avons que peu conscience en métropole. Je lirai sans aucun doute d'autres ouvrages de Nathacha Appanah.

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    1. Nathacha Appananh fait partie des auteures dont je ne raterai pour rien au monde ses nouvelles publications. Tropique de la violence est un livre qui m'a beaucoup marquée.

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