Pages

samedi 22 octobre 2016

Une bouche sans personne de Gilles Marchand



Date de parution : août 2016 Aux forges Vulcain
Nombre de pages : 256

"J’ai un poème et une cicatrice", voici la première phrase de ce roman, prononcée par le narrateur.

Nous sommes dans les années 80, le narrateur est un homme de 47 ans, comptable,"un métier en forme de maladie honteuse", qui dissimule toujours sa bouche derrière des écharpes qu'il collectionne, tout le monde s'interroge sur ce qu'il cache derrière.

Il mène une vie solitaire marquée par la routine entre son travail où il fuit la compagnie de ses collègues, son appartement et le bistrot où il se rend tous les soirs.
Font également partie de son univers une femme qui promène son chien dans la rue, la boulangère de son quartier qui lui fait part de ses considérations météorologiques et sa libraire chez qui il fait un passage hebdomadaire.

Au bistrot tenu par Lisa, il retrouve ses deux amis Sam et Thomas. Sam reçoit des lettres de sa mère décédée, Thomas pleure deux enfants qu'il n'a jamais eus et écrit un roman.
Tous sont plus ou moins amoureux de la belle Lisa et le bar est leur chez eux, ils forment une sorte de famille, parlent de tout et de rien sur fond d'Album blanc des Beatles et partagent leurs solitudes et leurs silences depuis plus de dix ans.
Tous ont compris que la vie bien réglée du narrateur cachait une profonde fissure. Un jour alors qu'il n'a jamais parlé de lui, le narrateur réussit à se raconter à ses amis. Il raconte son grand père Pierre-Jean qui l'a élevé mais au travers de son grand-père c'est aussi de lui dont il parle.
Pierre-Jean lui disait qu'il était " un document qui permettra aux historiens de ne pas oublier ", il avait une imagination débordante et inventait des histoires pour protéger son petit-fils. Celui-ci a cru longtemps à ses histoires puis a fait semblant d'y croire pour ne pas briser la magie.
"Il a fait en sorte que le chemin sur lequel il m'accompagnait soit le plus heureux possible. Pour cela il fallait travestir un peu la réalité..." . "Ne pas s'encombrer de la réalité, transformer son présent pour oublier son passé."

Le narrateur captive son auditoire chaque jour plus nombreux car, à ses trois amis, s'ajoutent d'autres clients du bistrot qui ne désemplit plus. 

Au fur et à mesure que le récit progresse, la fantaisie envahit sa vie quotidienne. Sa concierge décède et les ordures s’accumulent dans le hall de son immeuble, il devra passer par un tunnel creusé dans cet amoncellement pour accéder à son appartement, les notes de frais qu'il enregistre à son travail sont de plus en plus fantaisistes… une vie pleine de fantaisie comme celle que lui décrivait son grand-père...

Le récit fourmille de références à Romain Gary et Boris Vian.

J'ai trouvé un petit air de En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut à ce magnifique roman léger dans le ton mais beaucoup plus profond qu'il n'en a l'air au premier abord. 
La légèreté, l'humour décalé cachent bien des vérités et de terribles blessures, notamment celle de la fameuse cicatrice qui "fait office de masque qu'il ne peut retirer". L'imaginaire, l'absurde se révèlent être les ultimes remparts contre les horreurs de la vie. La douce folie qui semble envahir la vie de cet homme nous emporte dans son histoire qui rejoint au fil des pages la grande Histoire.
L'auteur passe par les chemins de la tendresse, de la poésie et surtout de la fantaisie absurde pour réussir à dire l'indicible...
Les personnages sont tous très émouvants, le narrateur et son grand-père sont tout simplement bouleversants. Le grand-père n'est pas sans évoquer Roberto Benigni dans "La vie est belle".
Un roman poignant d'une grande originalité dans sa forme. Un petit bijou...

Une très belle découverte grâce aux 68 premières fois. 

Les avis de Noukette, Virginie, Olivier et Annie


Citations
"L'écharpe m'a permis de masquer la différence. Elle soulève d'autres questions, mais il est plus facile de vivre avec des questions qu'avec une différence"

"Ma vie a commencé dans la laideur mais Pierre-Jean s’est efforcé de m'en montrer la beauté et l'originalité"

" Il n'avait aucune raison de pleurer. C'était juste que son visage n'était pas étanche. C'est le genre de choses qui arrive de temps en temps, avec toute cette eau qu'on a dans le corps. Il m'a expliqué qu'il s'était penché pour ramasser une cuillère à café qui était tombée sur le lino et avec cette maudite loi des vases communiquant, ses yeux s'étaient remplis et avaient débordé. Son visage s'est détendu au fil de son explication et son sourire arrivait à présent au niveau de son regard d'où une dernière goutte venait de sortir."

"Ces voix qui nous réveillaient l'un et l'autre au milieu de la nuit."

"Il y a des sons qui hantent et qui viennent s'assurer, au milieu de la nuit, que vous n'avez rien oublié. Ils font leur devoir de mémoire, en somme." 


L'auteur
Né en 1976 à Bordeaux, Gilles Marchand est rédacteur pour le Who's Who et chroniqueur pour le site de polars, k-libre. Si Une bouche sans personne est son premier roman, il a signé en 2011 Dans l’attente d’une réponse favorable, 24 lettres de motivation chez Antidata, où il a aussi été éditeur.
Il a également imaginé deux polars postaux pour Zinc Editions (Green Spirit et Les évadés du musée) et coécrit avec Eric Bonnargent, Le roman de Bolano, aux Editions du sonneur en 2015.

10ème lecture parmi les seize premiers romans sélectionnés en phase 2 des 68 premières fois
 








30ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2016






4 commentaires: