Pages

jeudi 24 août 2017

Le livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher

 
Date de parution : 24 août 2017 chez Quidam Editeur
Nombre de pages : 259

"Tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, tu es un miraculé pas une victime " 

J'ai eu la chance de croiser Erwan Larher lors de la soirée du 9 décembre 2016 qui clôturait la session 2016 des 68 premières fois, les organisatrices avaient convié des auteurs de premiers romans mais également quelques auteurs amis dont Erwan, la soirée s'est terminée en petit comité dans un restaurant. A l'époque je ne connaissais ni l'écrivain, ni l'homme, ni le drame qu'il avait vécu.

Le 13 novembre 2015 Erwan assiste seul à un concert de rock au Bataclan, "À partir de là commence une histoire que je ne voulais pas raconter." Dans un premier temps Erwan refuse de témoigner comme rescapé du Bataclan, il résiste à la pression de son entourage qui le pousse à partager son expérience, à écrire sur cet événement puisqu'il était le seul écrivain présent ce soir-là dans la salle.
Dans une première partie écrite à la première personne, Erwan nous relate ses interrogations, son cheminement pour aboutir à ce qu'il nomme un projet B : il va écrire autour de l'évènement comme un romancier, son livre ne sera ni un récit ni un témoignage, il ambitionne d'en faire un objet littéraire en prenant la posture d'écrivain et non de victime. Il reprendra le "Je" de l'écrivain à la toute fin du texte.
Il demande à quatorze de ses proches de lui fournir un texte sur la façon dont ils ont vécu cette nuit-là. On retrouve ces écrits sous la forme de chapitres insérés régulièrement et intitulés "vu du dehors", ils ne sont pas signés mais la liste des quatorze proches figure en début de livre. On apprend ainsi que cette nuit-là, sa compagne Jeanne crée un groupe sur Facebook pour tenir leurs amis informés, elle y a inclus tous ceux qui s'inquiétaient pour Erwan sur leur mur Facebook. Sur les réseaux sociaux Erwan est devenu "l'ami du Bataclan". Tous sont restés sans nouvelles de lui de 22h à 4h du matin...Il n'avait pas pris son portable...

Erwan passe au "Tu" pour raconter l'indicible, il commence par se mettre dans la peau des terroristes, il tente de comprendre leur colère, leur désespoir. Il évoque l'attaque, les hurlements (HURLEMENTS dans son texte), la balle qu'il reçoit dans la fesse alors qu'il est protégé par un pilier puis le silence durant lequel il se répète à l'infini "Je suis Sigolène, je suis un caillou" (Son amie Sigolène Vinson a publié un roman "Le caillou" et était présente dans les locaux de Charlie le 7 janvier) en faisant le mort avec quelqu'un accroché désespérément à son mollet. Puis les gémissements autour de lui après l'assaut et enfin le calvaire de l'attente des secours.
Il parle de la panique qu'il ressent chez certains jeunes sauveteurs, des larmes dans les yeux de certains soignants, des quelques jours passés en réanimation, de l'amour et de l'amitié qui l'aident à ne pas sombrer dans la mélancolie "Le corps ne se retape pas sans amour; il faut lui donner une raison de lutter.", de l'hôpital où il réapprend à se tenir debout et à marcher "Tu as fait connaissance avec ta mort, allongé sur le sol du Bataclan; tu rencontres maintenant ta vieillesse à venir" puis, après deux semaines d'hospitalisation, de sa convalescence chez ses parents dans le sud.
 
Ses journées sont alors rythmées par des séances de kiné, d'ostéopathie, d'hypnothérapie pour traiter sa perte de sommeil et par la correction du manuscrit de son prochain roman qui doit paraître quelques mois plus tard, il a un besoin impérieux de corriger ce texte pour ne pas craquer, il vient d'en choisir le titre et ce sera "Marguerite n'aime pas ses fesses", ce qui ne manque pas de sel lorsqu'on pense à la localisation de ses blessures... La douleur physique est omniprésente mais l'infirmité qui l'angoisse le plus est sa perte de libido et de ses capacités érectiles "Tu aspires à être reconnu tout à la fois comme un individu aimable, un écrivain respectable et un amant notable"

Il refuse clairement d'être considéré comme un héros, pour lui ce sont les pompiers et les soignants qui sont des héros, il leur rend un vibrant hommage. Il parle des sentiments qu'il a éprouvés, de la culpabilité qu'il a ressenti de ne pas s'être comporté en héros car, comme tous, il a fait le mort. Il évoque la culpabilité de ne pas s'être raccroché aux siens par la pensée, il dit qu'il a simplement subi, qu'il a simplement attendu.
 
Ce récit donne bien entendu des frissons mais Erwan Larher a atteint son objectif, ce livre qu'il ne voulait pas écrire est un bel objet littéraire. Il y fait preuve d'une incroyable pudeur, d'un humour et d'une autodérision à toute épreuve, il faut dire que la localisation de sa blessure lui a donné matière à de belles tirades... La question de sa légitimité à écrire sur le Bataclan traverse son texte de part en part "La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter le pari"
J'ai apprécié la grande sincérité de ce récit très intime où il se met à nu sans aucun apitoiement sur lui-même sans aucun voyeurisme. J'ai aimé son idée d'avoir inclus dans son récit les témoignages de ses proches, les regrets de certains d'entre eux sont particulièrement émouvants. Il est intéressant de voir comment son entourage le perçoit.
Réfractaire à toute forme de violence, n'ayant jamais rien vécu de traumatisant avant le Bataclan, Erwan tente de trouver un sens à cet évènement. Une mise à l'épreuve? Une ouverture sur autre chose? Dans quelques passages son propos devient plus politique, cet évènement enrichit son perpétuel questionnement sur le monde.
En tout cas ce texte qu'Erwan ne voulait pas écrire et qu'il a vraiment bien fait d'écrire le rend encore plus sympathique. 
La quatrième de couverture et la jaquette de ce récit avec une paire de santiags (seules chaussures qu'Erwan portent) sont particulièrement réussies. Bravo aussi à l'éditeur !


Merci à Quidam Éditeur pour cette lecture en avant première.


L'auteur

Erwan Larher écrit des pièces de théâtre, des chansons, des scénarios.
" Qu’avez-vous fait de moi ? ", son premier roman, paraît en 2010.  Le talent d’Erwan Larher est d’aborder le politique par sa face romanesque et haletante" en dira le Nouvel Observateur.
"Le livre que je ne voulais pas écrire" est son sixième roman.






3ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2017


12 commentaires:

  1. Ce livre me fait peur, par son sujet, mais je crois que je finirai par le lire!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu n'as rien à craindre, Erwan traite le sujet avec beaucoup de retenue. Aucun voyeurisme dans ce récit !

      Supprimer
  2. Superbe billet !
    Je viens de découvrir "Marguerite n'aime pas ses fesses" que g bcp bcp bcp aimé ! Autant dire que que je vais lire celui-là !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Framboise.
      Je n'avais encore rien lu de lui mais je vais me pencher sur ses précédents romans, c'est certain...

      Supprimer
  3. Je ne connais pas encore l'auteur mais je crois que je ne pourrais pas passer à côté ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela m'étonnerait que tu ne vois pas fleurir plein d'autres billets élogieux sur ce livre dans les semaines à venir.

      Supprimer
  4. Je suis conquise par ta chronique! Merci pour ce partage:je vais lire ce livre sans faute!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne suis pas étonnée que tu veuilles le lire, il vaut vraiment le coup selon moi.

      Supprimer
  5. Réponses
    1. As-tu vraiment le choix avec la pression qu'on te met avec Nicole ?

      Supprimer
  6. Magnifique, Joëlle ! Moi, je n'ai pas pu. Ce livre m'a bouleversée au point que voulant lire un passage à mon mari, je me suis mise à pleurer. Je ne pouvais rien dire sur son récit. En même temps, je ne pouvais pas me taire complètement.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce livre m'a bouleversée aussi mais j'ai pu écrire mon ressenti quand même...Je vais finir pas penser que j'ai un cœur de pierre !

      Supprimer