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mardi 12 septembre 2017

L'art de perdre d'Alice Zeniter


Date de parution : 16 août 2017 chez Flammarion
Nombre de pages : 512

Prix littéraire du monde 

Naïma va partir enquêter pour retrouver ses racines, plus de soixante ans après le départ d'Algérie de sa famille. En faisant le chemin inverse de son grand-père, elle tente de comprendre l'histoire de son père et de son grand-père qui n'ont jamais parlé de l'Algérie qu'ils ont dû quitter précipitamment en 1962. 
Cette fresque historique familiale sur trois générations retrace donc l'histoire de l'Algérie et des Harkis de 1950 à nos jours, le roman est composé de trois parties "L'Algérie de papa", "La France froide" et "Paris est une fête".

Dans une première partie Naïma raconte l'histoire d'Ali, son grand-père. Ali, marié en troisièmes noces à Yema 14 ans, sa cadette de vingt ans, est un riche propriétaire terrien qui cultive des champs d'olivier, il est considéré comme un notable dans son village de montagne. Lorsque lui parviennent les premiers échos des attentats du FLN en 1954, son fils Hamid n'a qu'un an. Commence alors ce qu'en France on refuse encore d'appeler la guerre préférant parler d'événements ou troubles. Ali, qui a combattu au sein de l'armée française lors de la deuxième guerre mondiale mais qui ne fait pas de politique, tenant juste à mettre sa famille à l'abri, doit se positionner et mettre son village sous la protection des français mais ce ne sera pas sans contrepartie..." Il fait le choix d'être protégé d'assassins qu'il déteste par d'autres assassins qu'il déteste". Après le référendum d'autodétermination et les accords d'Evian, c'est l'heure des règlements de comptes et de la peur... Il doit fuir avec femme et enfants au milieu de français qui font monter dans les bateaux des chevaux, des voitures, des statues mais refusent l'accès à des milliers d'algériens.

Dans une deuxième partie, Naïma relate l'arrivée dans "la France froide", l'installation dans un camp de transit entouré de barbelés à Rivesaltes. " La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d'accueil " Les français n'ouvrent pas les portes de leur pays à ceux qu'on va dénommer les Harkis mais les parquent dans des camps répartis sur le territoire "On les divise pour mieux régner sur eux". Après quelques mois, c'est le départ pour un hameau forestier dans les Landes avant d'être envoyés dans une des barres HLM d'une des cités construites pour les Harkis en Normandie. C'est alors le temps de la nostalgie du pays perdu mais aussi du silence autour de ce pays absent de leur vie quotidienne, des efforts d'intégration et de la confrontation au racisme ambiant. Mais Hamid a vite honte de ses parents, honte de voir son père s'humilier pour s'intégrer, dire sans cesse merci à tout, une distance se crée entre les deux générations, les rapports s'inversent car les  parents illettrés dépendent de leur fils aîné qui devient leur "passeur vers le monde extérieur". Puis viennent les interrogations du fils sur les choix de son père...

La dernière partie, nommée « Paris est une fête » voit Naima, comme beaucoup de jeunes de la troisième génération, être confrontée aux attentats et éprouver la peur d'être assimilée aux terroristes. Mais surtout Naïma, face au mur de silence érigé par son père et en quête d'identité, va ressentir le besoin de partir sur les traces de sa famille. Mais un pays dont on ne lui a rien transmis est-il encore son pays ? " Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd, c’est tout. Tu viens d'ici mais ce n'est pas chez toi", "Tu peux venir d’un pays sans lui appartenir, il y a des choses qui se perdent … On peut perdre un pays ".  Naïma va gagner dans ce voyage la liberté d’être elle-même.

Ce livre relève de l'intime pour Alice Zeniter qui est d'origine algérienne. Dans cette fresque magnifiquement et magistralement racontée, elle parvient, au milieu du récit du conflit sous-jacent à nous faire découvrir les traditions et les charmes de l'Algérie au travers notamment d'une cérémonie de circoncision, du recours aux soins d'un guérisseur, du rôle attribué au fils aîné... Elle nous fait bien ressentir la violence de part et d'autre lors du conflit, le désarroi des Harkis séparés d'une partie de leur famille restée en Algérie et parqués dans des camps, leur surprise face à une France qu'ils n'imaginaient pas comme ça, le regard d'Hamid sur son père qui a perdu dans le camp son aura de notable, ses interrogations sur ce père perçu comme traître à son pays.
Le récit est très argumenté, documenté et instructif. Alice Zeniter explique très bien les enjeux politiques et on comprend qu'il n'était pas si simple de choisir son camp... Le récit est aussi très vivant, truffé d'anecdotes, et cinématographique. On visualise la vie de cette famille en Algérie puis dans les camps où les hommes jouent aux dominos devant leurs maisons puis dans leur barre HLM. Les ressentis et évolutions des membres de cette famille sont très judicieusement détaillés.
La plume est magnifique, c'est pour moi de la grande littérature.  Le très beau titre rassemble les trois générations, il est tiré d’un poème d’Elisabeth Bishop, poétesse américaine, qui pose l’art de perdre comme condition au mieux vivre.
Foisonnant, passionnant, jamais ennuyeux malgré ses 512 pages, ce récit qui mêle la grande Histoire et la petite histoire de personnages très humains m'a paru également très objectif, sans parti pris. Il résonne avec la situation actuelle des migrants et a, à mon sens, une valeur universelle.

Ce roman a obtenu le prix des libraires de Nancy-Le Point et le prix littéraire du monde et fait partie des premières sélections du prix Renaudot et du prix Goncourt. C'est pour l'instant mon grand favori.
Voici les liens vers les romans sélectionnés pour le Goncourt ou le Renaudot que j'ai déjà lus : Summer de Monica Sabolo, La disparition de Josef Mengele d'Olivier Guez, Nos vies de Marie-Hélène Lafon et Le déjeuner des barricades de Pauline Dreyfus.

Citations
"L'homme qui n'a qu'un fils marche sur une jambe"

"Il est heureux parce qu'il ne sait pas qu'il vit dans un pays sans adolescence. Le basculement est rude, ici, d'un âge à l'autre "

"Une fois qu'on est mort, le récit est figé et c'est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traîtres à la nation algérienne et ceux que l'armée a tués des traîtres à la France. Ce qu'a été leur vie ne compte pas : c'est la mort qui détermine tout. Le FLN décidera pour lui qu'il a trahi si jamais ses hommes l'égorgent d'une oreille à l'autre."

" Le mariage, c'est un ordre, une structure. L'amour, c'est toujours le chaos, même dans la joie. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les deux n'aillent pas de pair. Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'on choisisse de construire sa famille, son foyer, sur une institution qui est durable, sur un contrat évident plutôt que sur le sable mouvant des sentiments."

" Est-ce qu'une épargnée peut comprendre un bouleversé? "

" L'Histoire est écrite par les vainqueurs, c'est ce qui lui permet de n'exister qu'en une seule version"


L'auteur


Alice Zeniter est née en 1986. Elle a déjà écrit quatre romans, dont Sombre dimanche (Albin Michel, 2013), qui a reçu le prix du Livre Inter, le prix des lecteurs de l’Express et le prix de la Closerie des Lilas, et Juste avant l’oubli (Flammarion, 2015), prix Renaudot des lycéens. Elle est dramaturge et metteuse en scène de théâtre. (Sources : Éditions Flammarion)






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21ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2017



6 commentaires:

  1. C'est l'un des romans que j'ai lu plus envie de lire.

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    1. C'est un excellent choix ! On va certainement beaucoup en entendre parler dans les semaines qui viennent.

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  2. J'ai hâte de pouvoir le lire, je me doutais que ce serait l'un des romans incontournables de cette rentrée littéraire ce que me confirme ta chronique.

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    1. C'est du lourd ! C'est vraiment une grande romancière.
      Je guette ton billet...

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  3. je ne l'aurais pas forcément lu spontanément, mais là, il me fait vraiment envie!

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    1. Il vaut vraiment le coup, il est complètement différent de son précédent que je n'avais pas trop aimé.

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