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mercredi 22 novembre 2017

La salle de bal d'Anna Hope

Date de parution : août 2017 chez Gallimard
Nombre de pages : 388 

Avec "La salle de bal" Anna Hope a écrit une fiction qui se déroule dans l’asile de Sharston mais l’établissement qu’elle décrit a vraiment existé dans le Yorkshire, son arrière-arrière-grand-père y a été admis comme patient au début du 20ème siècle. Dédié à la mémoire de son aïeul, avec des personnages fictifs, "La salle de bal" est donc un roman inspiré de cet asile.

Nous sommes en 1911 dans une Grande-Bretagne en pleine crise économique. Ella, une fileuse de la classe ouvrière, se retrouve un jour dans l’asile de Sharston bien connu dans la région pour les horreurs qui s’y passent, elle a commis la faute de briser volontairement une vitre dans l’usine de filature où elle travaille depuis l’âge de 8 ans, elle se retrouve au milieu de femmes très atteintes au regard dans le vide ou qui s’arrachent les cheveux. A l’occasion d’une tentative de fuite elle rencontre John un irlandais qui est interné dans la partie réservée aux hommes.

L’asile, un vaste manoir proche d’une lande, est un endroit hors du temps. Son cœur est constitué d’une immense et magnifique salle de bal avec une estrade pour accueillir un orchestre, un bal est organisé tous les vendredis soirs, les patients méritants sont désignés pour y participer avec obligation de danser. Dans cet asile, vivent environ mille femmes et mille hommes qui ne se côtoient que lors de ce bal, ce sont des aliénés majoritairement indigents, répartis en cas aigus et cas chroniques. Les femmes travaillent à l’intérieur sans jamais sortir du bâtiment, Ella est affectée à la lingerie alors que les hommes comme John creusent des tombes communes où seront enterrés anonymement six patients ou participent aux travaux des champs. L’organisateur de ces bals hebdomadaires est le médecin adjoint Charles Fuller qui occupe également les fonctions de chef d’orchestre.

Dans ce début du 20ème siècle prévalaient des théories qui font froid dans le dos : la maladie mentale serait associée à des caractères morphologiques, serait transmise héréditairement ou serait l’apanage des faibles et des pauvres…  Un fort mouvement eugénique sévit, un projet de loi sur le contrôle des faibles d’esprit est en préparation. Le mouvement eugénique est divisé entre les partisans de la stérilisation des simples d’esprit et les partisans de leur ségrégation. Certains défendent même la théorie suivante : empêcher les faibles d’esprit donc les pauvres de se reproduire supprimera la pauvreté… 

Charles Fuller se veut l’inventeur d’une méthode qui allie ségrégation et musique, il croit en l’amélioration des malades par la culture et la musique. Il prend John comme objet d’étude et veut communiquer sur la transformation de cet homme mélancolique et taciturne grâce à ses méthodes qui préconisent le travail, la musique et la danse à la place des menottes.  Il espère ainsi convaincre le ministre de l’Intérieur Churchill de l’efficacité de sa méthode de prise en charge des malades mentaux. 

J’ai été enthousiasmée par ce roman qui par ses références à l’eugénisme qui sévissait à l’époque en Grande-Bretagne dévoile une part de l’Histoire et un Churchill que je ne connaissais pas du tout. Y sont développées des théories ahurissantes qui nous font comprendre ce qui a pu se passer quelques décennies plus tard. C’est un livre engagé qui montre comment un médecin peut sombrer dans la folie et vouloir empêcher la décadence de la nation en créant une race supérieure. Anna Hope insère ou cite des textes et extraits de conférences de l’époque dans ce roman où elle met en scène d’une plume très élégante des êtres très touchants. Elle nous plonge d’emblée de façon saisissante dans la vie de cet asile, j’ai particulièrement aimé la jolie manière qu’elle prête à John pour communiquer avec Ella. La construction du récit et la montée en puissance de l’intrigue sont parfaites. Voici un livre marquant et instructif qui traite d’un thème fort, grave et original en offrant de nombreuses pistes de réflexion. Anna Hope dont c'est seulement le deuxième roman y fait preuve d'une maitrise impressionnante. 


L'auteur


Anna Hope est une actrice et écrivaine née en 1974.
Elle est apparue dans plusieurs séries télévisées et a publié son premier roman  "Le chagrin des vivants" en 2014.






 

48ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2017




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