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dimanche 29 mars 2020

Âme brisée d'Akira Mizubayashi

Date de parution : aout 2019 chez Gallimard
Nombre de pages : 256

Tokyo, 1938. Rei, un petit garçon de onze ans, lit seul dans la salle de réunion du Centre culturel municipal pendant que son père Yu, musicien amateur, répète avec trois étudiants chinois qui n'ont pas quitté le Japon malgré la guerre qui oppose Chine et Japon depuis un an. Lorsque des militaires surgissent, Yu a le temps de dire à son fils de se cacher dans une armoire. Le petit garçon assiste impuissant à travers le trou de la serrure de l'armoire à une scène insoutenable au cours de laquelle des militaires violentent son père et détruisent son violon. Le quatuor de musiciens, soupçonné de comploter contre le pays, est embarqué et Rei ne reverra jamais plus son père. Un militaire présent, le lieutenant Kurokami, découvre Rei dans sa cachette mais ne le dénonce pas et lui confie le violon brisé de son père.

Ce roman raconte le destin de cet enfant, déjà orphelin de mère à 3 ans, qui grandira en France adopté par un ami français de son père. De la fin des années 60 au printemps 2005 nous suivons le destin de Rei devenu Jacques et le destin du violon brisé jusqu'à son âme, la petite pièce d'épicéa nécessaire à la propagation des sons, véritable cœur du violon qui donne à chaque instrument sa personnalité, ses vibrations uniques.

Devenu maître luthier de renom, Rei vit avec Hélène qui exerce le métier d'archetière, métier parfaitement complémentaire au sien. Restaurer le violon détruit de son père devient l'œuvre de sa vie. " Rei avait fait du violon brisé l'objectif et la matière de sa vie". 

J'ai aimé que l'auteur nous introduise dans l'histoire de Rei en lui donnant la parole dans un premier chapitre très fort où l'enfant relate la scène fondatrice de sa vie lorsque son père est arrêté sous ses yeux. J'ai aimé la narration linéaire qui retrace ensuite son destin. 
J'ai aimé le voyage musical que nous propose l'auteur car la musique est présente tout au long de ce roman sans qu'il soit aucunement nécessaire d'être mélomane pour en goûter toutes les subtilités. 
J'ai aimé le titre à multiples sens de ce roman, âme brisée du violon/âme brisée de l'enfant/âme brisée (jusqu'à l'anéantissement) de son père. 
J'ai aimé la mise en lumière de métiers aussi méconnus que ceux de luthier et archetier.
J'ai aimé les multiples symboles qui parsèment ce roman. Du violon brisé qui représente son père disparu jusqu'à l’œuf cru que Rei mélange à son riz dans un besoin irrépressible qu'il  ressent quand il retourne au Japon 65 ans après l'avoir quitté, retrouvant ainsi les sensations de son enfance, renouant avec celui qu'il était à l'âge de onze ans à Tokyo. Tout est symbole dans ce roman riche en doubles sens, le livre que l'enfant lit ce funeste jour de 1938 se nomme "Dites-moi comment vous allez vivre", héritage de son père qui lui en avait conseillé la lecture, ce texte l'accompagnera toute sa vie comme le violon. Livre et violon seront deux figures paternelles qui le porteront tout en l'enfermant dans son passé.  Le nom du concerto "A la mémoire d'un ange" joué à la fin du roman est lui aussi bien symbolique...
J'ai aimé tous les personnages principaux, Rei/Jacques, sa compagne Hélène, le lieutenant japonais, la jeune violoniste japonaise, l'amie chinoise de Yu... Tous ont une belle et forte personnalité.
J'ai aimé que la culture japonaise imprègne fortement le roman bien que le récit se déroule essentiellement à Paris en passant par la Chine, Mirecourt et Crémone. Cérémonie du thé, relations empreintes de déférence, cerisiers en fleurs, particularités de la langue, puissance évocatrice des idéogrammes attachés aux noms japonais...
J'ai aimé les multiples fils que l'auteur déroule tout au long du récit, outre le fil de la musique, il déroule ceux de la mémoire, de l'impossible deuil, des fantômes qui nous accompagnent, de l'amour indestructible d'un enfant pour son père, de l'arrachement à la terre natale et à sa famille, du déracinement et de l'identité. Il est aussi question du pouvoir de la littérature et de la musique, des rencontres qui permettent reconstruction et renaissance.
J'ai aimé la plume très délicate d'Akira Mizubayashi qui rend cette lecture envoûtante, dégageant une étrange impression de sérénité. Un roman loin de tout misérabilisme et riche en émotions que j'ai lu d'une traite et qui, j'en suis certaine, va m'accompagner longtemps.


Citations
" Les notes de musique s'égrenaient comme une enfilade de gouttes d'eau argentées sur une feuille de bambou après une forte averse." 

" Le temps se défossilisait, recommençait à trembler."

" La musique, même si elle est issue d'une autre civilisation, d'un pays avec lequel on est en guerre, fait partie du patrimoine de l'humanité."

" Je suis faite de ce que j'ai reçu de mon grand-père"


L'auteur
Écrivain et traducteur japonais, Akira Mizubayashi est né en 1951.
Après des études à l’université nationale des langues et civilisations étrangères de Tokyo, il part pour la France en 1973 et suit à Montpellier une formation pédagogique pour devenir professeur de français. Il revient à Tokyo en 1976, fait une maîtrise de lettres modernes, puis, en 1979 revient en France comme élève de l’Ecole Normale Supérieure où il reçoit le titre de Docteur après une thèse sur Rousseau. Depuis 1983, il enseigne le français à Tokyo.
Il obtient en 2011 le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises ainsi que le prix littéraire de l'Asie 2011 pour "Une langue venue d'ailleurs". 




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