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dimanche 21 août 2022

Au vent mauvais de Kaouther Adimi

 

Date de parution : 19 aout 2022 au Seuil 
Nombre de pages : 272

" Si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais."

Au début des années 20, Leïla, Tarek et Saïd grandissent à El Zahra, un petit village de l'est de l'Algérie. Tarek et Saïd, frères de lait, se considèrent comme des frères. Leïla, mariée très jeune contre son gré, décide de quitter son mari et revient avec son petit garçon auprès de ses parents à El Zahra dans la réprobation générale. Tarek, orphelin de père, vit avec sa mère muette et devient berger, c'est un homme réservé et discret à qui les mots ont toujours manqué " J'ai été nourri dans le silence. J'ai pleuré dans le silence. J'ai ri dans le silence." Saïd, issu d'une famille plus aisée, va poursuivre des études à l'étranger. Tous deux sont secrètement amoureux de Leïla.

La Seconde Guerre mondiale les sépare. Tarek ne dira rien de ce qu'il a vécu à la guerre mais le petit berger est devenu un homme renfermé, taciturne et sombre. Rentré au village, il épouse Leïla et adopte son fils. Pendant ce temps là, Saïd devient un homme de lettres.

Bientôt Tarek connaît une deuxième guerre en rejoignant la lutte pour l'indépendance puis travaille sur le tournage du film "La Bataille d'Alger", avant de partir travailler dans une usine en région parisienne. Ensuite il se retrouve gardien de la magnifique villa d'un Cardinal à Rome, temps suspendu dans une trajectoire tourmentée.

Leïla, restée au pays avec leurs enfants, connaît la vie des femmes rurales de l'époque. Cantonnée dans l'éducation des enfants et les tâches ménagères, elle décide d'apprendre à lire et écrire.

Mais la publication du premier roman de Saïd vient bouleverser leur vie de couple, Tarek doit rentrer au plus vite. Saïd a fait d'eux les personnages de son roman.

A travers l'histoire de Leïla, Tarek et Saïd, Kaouther Adimi balaye une partie de l'histoire de l'Algérie, de la colonisation à la lutte pour l'indépendance jusqu'à la guerre civile de 1992 qui durera dix ans. 

Tarek aura vécu plus d'une guerre. Il restera marqué à vie par la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle les soldats nord-africains sont mis en première ligne, perçoivent une solde beaucoup moins importante que les soldats français et par un après-guerre où ils restent des étrangers bien qu'ils aient combattu pour la France, se trouvant même interdits d'entrée dans des commerces ou des cinémas. Il aura vécu deux guerres en tant que combattant mais aussi le tournage d'un film qui l'a replongé dans la guerre d'Algérie. Kaouther Adimi évoque avec beaucoup de sobriété les séquelles psychologiques dont le jeune homme est atteint. "Les gens pensent que quand on a fait la guerre et qu'on a survécu, c'est terminé. J'ai fait deux fois la guerre, deux fois je suis rentré chez moi mais je suis plein de poussière et je n'arrive pas à m'en débarrasser. Elle est entrée dans ma tête et dans mon cœur. C'est le vent mauvais qui l'apporte, cette fichue poussière qui jamais ne me lâche."

La guerre contre "un ennemi invisible fait de papier et d'encre" ne sera pas le moindre des combats qu'il aura eu à affronter, tellement est fort le pouvoir d'un écrivain lorsqu'il enferme quelqu'un dans un roman. 

Ce roman est aussi l'occasion pour Kaouther Adimi de dépeindre la vie solitaire des travailleurs émigrés qui font le sacrifice de vivre loin de leur famille, envoyant régulièrement des mandats à leur femme et ne rentrant au pays que tous les deux ans pour retrouver leur famille et, d'année en année, construire leur maison. "L'absence contre les mandats, l'absence plutôt que la misère pour tous."

Le personnage de Tarek, travailleur, honnête et bon, est attendrissant, notamment lorsqu'il prend soin de consigner sur des bouts de papier des mots, des bouts de phrase pour ne pas oublier de raconter ce qu'il voit à Leïla et aux enfants. Leila a eu la force de revendiquer sa liberté et de refuser les diktats de la société en quittant son premier mari, un acte pour lequel elle sera stigmatisée par sa famille et par sa communauté. Tous deux ont une belle force de caractère et savent profiter de petits bonheurs tout simples. 

Leïla subira une trahison, une humiliation à l'origine d'une blessure et d'une honte qui vont la poursuivre pendant des années. Elle deviendra alors une femme tourmentée que la colère ne quittera pas. Deux personnages très attachants qui évoluent sous l'œil bienveillant de Safia, potière et gardienne des lieux, personnage tout aussi attachant qu'eux.

Très bien construit, parfaitement bien rythmé, ce roman est riche aussi bien sur le plan historique qu'au niveau romanesque avec des personnages forts et une fin très émouvante.  

Une grande et magnifique fresque historique pour Léa.


Citation

" Toutes les guerres font la même chose aux hommes, elles transforment vos yeux en deux billes figées."


L'auteure

Après deux romans, Kaouther Adimi connaît un important succès en 2017 avec "Nos richesses" (Prix Renaudot des lycéens) évocation du légendaire libraire et éditeur Edmond Charlot. Son quatrième roman, "Les petits de Décembre" (Prix du Roman Métis des lycéens), a été publié au Seuil en 2019. Kaouther Adimi est actuellement pensionnaire à la Villa Médicis. (Source : éditeur)


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