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jeudi 4 janvier 2018

En camping-car d'Ivan Jablonka


Date de parution : janvier 2018 au Seuil
Nombre de pages : 192


J’ai lu ce livre dans le cadre du Grand Prix Elle 201, catégorie document. 

Ivan Jablonka se replonge dans son enfance au travers de ses souvenirs de vacances en camping-car. Tout a commencé lors d’une année scolaire en Californie à l’occasion d’une mutation de son père. Ses parents achètent alors un combi Volkswagen, une sorte de fourgon aménagé pour eux qu’ils surnomment "le bus". De retour en France, tous les étés ils sillonnent l’Europe du Sud avec des amis et leurs enfants. Ivan Jablonka s’appuie sur le journal de voyage qu’il tenait à l’époque et sur des photos pour retracer son enfance et dresser le portrait d'une époque.
Il montre comment ces vacances en camping-car l'ont structuré, comment il y a découvert la liberté, la convivialité et l’amitié. Adeptes du camping sauvage, avec des arrêts dans des spots en pleine nature à une époque où c’était encore permis, c’était l’émerveillement garanti, l’insouciance, la découverte dans leur "bulle itinérante" protectrice.

Ivan Jabloka ne se contente pas d’égrener ses souvenirs, il esquisse une analyse dans ce qu’il nomme lui-même une socio-histoire de son enfance, il retrace l’histoire du camping-car, symbole de l'amour de la nature, explique que ce mode de vacances proche du nomadisme, cet anticonformisme, étaient incompris par ses copains repliés dans une sorte de mépris social. 

L’aspect le plus intéressant de ce récit est l’analyse que fait l’auteur du choix de ses parents quant à ce type de vacances. Il décrit un père qui a beaucoup souffert et qui éprouvait de la culpabilité de ne pas rendre ses enfants heureux, qui leur criait "soyez heureux ", un père pour qui le camping-car était le moyen de rendre ses deux fils heureux. Son père a tellement souffert que le devoir de bonheur était une règle dans leur famille par respect pour leurs proches qui ont subi l’horreur. Il relie le choix de son père au drame de son enfance. Survivant d’un génocide, orphelin de ses deux parents, son père a vécu dans la pauvreté et a été élevé dans des foyers communistes. L’absence de racines familiales du côté paternel explique beaucoup de choses dans cette famille (Ivan Jablonka a d’ailleurs écrit "L’histoire des grands parents que je n’ai pas eus") où l’errance lors de ces vacances n’est pas sans rappeler celle du peuple juif.

J’ai été agréablement surprise par ce récit vers lequel je ne serai pas allée spontanément. J’ai trouvé l’auteur honnête dans son récit autobiographique car il n’enjolive pas son enfance, il évoque l’ennui qu’il éprouvait parfois lors de visites de musées et de sites archéologiques chers au cœur de sa mère professeur de français-latin-grec. C’étaient des vacances routardes et « intellectuelles » mais les enfants étaient libres de flâner dans les musées sans les visiter. Comme la dimension culturelle de leurs voyages a parfois ennuyé le jeune garçon qu’il était, le non consumérisme de ses parents ne l’empêchait pas de réclamer des pizzas et du coca… La notion de liberté est le fil conducteur du récit et Ivan Jablonka note la chance qu’il a eu de bénéficier d’une liberté offerte par ses parents et non acquise contre eux, il reconnait les bienfaits de cette éducation qui est pour lui à l’origine de son militantisme intellectuel actuel. J’ai aimé l’analyse qu’il fait de sa position d’aîné "content de contenter les autres, en proie à la quête de perfection", attitude adoptée pour protéger son père dont il se sentait l’anti-dépresseur.
La dimension sociologique du texte, mêlée à la dimension autobiographique, m’a beaucoup intéressée, j’ai aimé qu’il souligne que ce style de vacances routardes l’a préservé de la tentation de rentrer dans l’élite parisienne lorsque, devenu adulte, il a gravi un nouvel étage de l’ascenseur social pris par ses parents.
La lecture de ce bel éloge du voyage, de ces années de formation à la découverte du monde, de ces vacances populaires synonymes d’ouverture à la culture et à la diversité, vacances de liberté et de simplicité a été une vraie bouffée de fraicheur. Le texte est servi par une très belle plume.


Citations
" Le génie allemand de l’organisation était mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l’intimité, de l’intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père, et nous avec"

" Cette fissure qui entaille nos existences, ce vide qui creuse le plein, tout comme se mêle à la joie d’être vivant l’angoisse d’avoir survécu"

" Les morts ne sont que des absents, et il est bon de les inviter, quelquefois, aux réjouissances que nous offre le banquet de la vie"

" Je suis avec ceux qui traînent leur passé comme une caravane. Je suis du côté des marcheurs, des rêveurs, des colporteurs, des bringuebalants. Du côté du camping-car"


L'auteur


Ancien élève de l’École normale supérieure, éditeur et écrivain, Ivan Jablonka est professeur d’histoire à l’université Paris 13.
Il est rédacteur en chef de la revue laviedesidees.fr et codirecteur de la collection "La République des Idées" aux Éditions du Seuil. 







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pour accéder à ma chronique, cliquer ici



















2ème participation au challenge rentrée littéraire 2018 organisé par Bea Comete










Catégorie MOYEN DE TRANSPORT

6 commentaires:

  1. Lu d'autres chroniques allant dans ton sens

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  2. Lorsque j'avais rencontré I. Jablonka au salon du livre, il avait évoqué ce roman autobiographique dont la sortie était prévue en janvier.Il en parlait avec une telle fougue que je comptais bien le lire.Ta chronique me confirme ce choix! À bientôt.

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    1. Cela ne m'étonne pas qu'il en parle avec fougue, on le sent très impliqué dans ce récit... Bonne lecture !

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  3. Intéressant, ce monsieur. Je commencerai par Laetitia. Je ne sais pas si tu as vu mais j'ai un joli petit logo que tu peux mettre en bas de ton billet. Merci de ta participation ! Une Comète

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    1. Celui-ci est complètement différent de Laetitia. Je suis vraiment ravie d'avoir découvert cet auteur.

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