Date de parution : janvier 2018 au Seuil
Nombre de pages : 192
J’ai lu ce livre dans le cadre du Grand Prix Elle
201, catégorie document.
Ivan Jablonka se replonge dans son enfance au travers de ses souvenirs de vacances en
camping-car. Tout a commencé lors d’une année scolaire en Californie à
l’occasion d’une mutation de son père. Ses parents achètent alors un combi Volkswagen,
une sorte de fourgon aménagé pour eux qu’ils surnomment "le bus". De
retour en France, tous les étés ils sillonnent l’Europe du Sud avec des amis et
leurs enfants. Ivan Jablonka s’appuie sur le journal de voyage qu’il tenait à
l’époque et sur des photos pour retracer son enfance et dresser le portrait d'une époque.
Il montre comment ces vacances en camping-car
l'ont structuré, comment il y a découvert la
liberté, la convivialité et l’amitié. Adeptes du camping sauvage, avec des
arrêts dans des spots en pleine nature à une époque où c’était encore permis,
c’était l’émerveillement garanti, l’insouciance, la découverte dans leur "bulle
itinérante" protectrice.
Ivan Jabloka ne se contente pas d’égrener ses
souvenirs, il esquisse une analyse dans ce qu’il nomme lui-même une socio-histoire de son enfance, il
retrace l’histoire du camping-car, symbole de l'amour de la nature, explique
que ce mode de vacances proche du nomadisme, cet anticonformisme, étaient
incompris par ses copains repliés dans une sorte de mépris social.
L’aspect le plus intéressant de ce récit est
l’analyse que fait l’auteur du choix de
ses parents quant à ce type de vacances. Il décrit un père qui a beaucoup souffert et qui éprouvait de
la culpabilité de ne pas rendre ses enfants heureux, qui leur criait
"soyez heureux ", un père pour qui le camping-car était le moyen de
rendre ses deux fils heureux. Son père a tellement souffert que le devoir de bonheur était une règle
dans leur famille par respect pour leurs proches qui ont subi l’horreur. Il relie le choix de son père au
drame de son enfance. Survivant d’un génocide, orphelin de ses deux parents,
son père a vécu dans la pauvreté et a été élevé dans des foyers communistes. L’absence
de racines familiales du côté paternel explique beaucoup de
choses dans cette famille (Ivan Jablonka a d’ailleurs écrit
"L’histoire des grands parents que je n’ai pas eus") où l’errance
lors de ces vacances n’est pas sans rappeler celle du peuple juif.
J’ai été
agréablement surprise par ce récit vers lequel je ne serai pas allée
spontanément. J’ai trouvé l’auteur honnête dans son récit autobiographique car
il n’enjolive pas son enfance, il évoque l’ennui qu’il éprouvait parfois lors
de visites de musées et de sites archéologiques chers au cœur de sa mère
professeur de français-latin-grec. C’étaient des vacances routardes et « intellectuelles » mais les enfants étaient libres de flâner dans
les musées sans les visiter. Comme la dimension culturelle de leurs voyages a
parfois ennuyé le jeune garçon qu’il était, le non consumérisme de ses parents
ne l’empêchait pas de réclamer des pizzas et du coca… La notion de liberté est
le fil conducteur du récit et Ivan Jablonka note la chance qu’il a eu de
bénéficier d’une liberté offerte par ses parents et non acquise contre eux, il
reconnait les bienfaits de cette éducation qui est pour lui à l’origine de son
militantisme intellectuel actuel. J’ai
aimé l’analyse qu’il fait de sa position d’aîné "content de contenter les autres, en proie à la quête de
perfection", attitude adoptée pour protéger son père dont il se
sentait l’anti-dépresseur.
La
dimension sociologique du texte, mêlée à la dimension autobiographique, m’a
beaucoup intéressée, j’ai aimé qu’il souligne que ce style de vacances
routardes l’a préservé de la tentation de rentrer dans l’élite parisienne
lorsque, devenu adulte, il a gravi un nouvel étage de l’ascenseur social pris
par ses parents.
La lecture
de ce bel éloge du voyage, de ces années de formation à la découverte du monde,
de ces vacances populaires synonymes d’ouverture à la culture et à la diversité, vacances de liberté et de simplicité a été une vraie bouffée de fraicheur. Le texte est servi par une très belle plume.
Citations
" Le génie
allemand de l’organisation était mis au service non pas du crime de masse, mais
de la vie, de la joie, de l’intimité, de l’intégration familiale, et il est
facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père, et nous
avec"
" Cette fissure qui entaille nos existences, ce
vide qui creuse le plein, tout comme se mêle à la joie d’être vivant l’angoisse
d’avoir survécu"
" Les morts ne sont que des absents, et il est
bon de les inviter, quelquefois, aux réjouissances que nous offre le banquet de
la vie"
" Je suis avec ceux
qui traînent leur passé comme une caravane. Je suis du côté des marcheurs, des
rêveurs, des colporteurs, des bringuebalants. Du côté du camping-car"
L'auteur
Ancien élève de l’École normale supérieure, éditeur et écrivain, Ivan Jablonka est professeur d’histoire à l’université Paris 13.
Il est rédacteur en chef de la revue laviedesidees.fr et codirecteur de la collection "La République des Idées" aux Éditions du Seuil.
Il est rédacteur en chef de la revue laviedesidees.fr et codirecteur de la collection "La République des Idées" aux Éditions du Seuil.
2ème participation au challenge rentrée littéraire 2018 organisé par Bea Comete
Catégorie MOYEN DE TRANSPORT
Lu d'autres chroniques allant dans ton sens
RépondreSupprimerIl vaut vraiment le détour, c'est une belle surprise...
SupprimerLorsque j'avais rencontré I. Jablonka au salon du livre, il avait évoqué ce roman autobiographique dont la sortie était prévue en janvier.Il en parlait avec une telle fougue que je comptais bien le lire.Ta chronique me confirme ce choix! À bientôt.
RépondreSupprimerCela ne m'étonne pas qu'il en parle avec fougue, on le sent très impliqué dans ce récit... Bonne lecture !
SupprimerIntéressant, ce monsieur. Je commencerai par Laetitia. Je ne sais pas si tu as vu mais j'ai un joli petit logo que tu peux mettre en bas de ton billet. Merci de ta participation ! Une Comète
RépondreSupprimerCelui-ci est complètement différent de Laetitia. Je suis vraiment ravie d'avoir découvert cet auteur.
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