Date de parution : mars 2016 chez Grasset
Nombre de pages : 153
Orpheline d’enfant, ça ne se dit pas. Rien dans la langue française ne dit ce que tu es.
« Une nuit, ton fils s’est tué dans sa chambre, au premier étage de
votre maison. Au matin à huit heures, avec son père tu l’as trouvé. »
Angélique Villeneuve, en employant le «
tu » tout au long de son récit, nous raconte dans ce court témoignage "l'après" qui a suivi le suicide de son fils de 21 ans.
Elle décrit d'abord son état de choc, un état de "stupeur en mouvement", puis sa volonté de "garder le cap", sa volonté que cette mort choisie ne soit pas entourée de silence et de secret, la sensation qu'elle éprouve du poing serré de son fils au dessus de sa hanche, "là où se trouve ce qui reste de ton fils".
Elle évoque l’impérieuse nécessité qu'elle a de passer des moments dans la chambre de son fils, de s'entourer d'objets lui ayant appartenu : son téléphone portable, des morceaux de savon, un caleçon...et du réconfort qu'elle trouve auprès des arbres.
Elle nous parle de son impossibilité de pleurer "tu as fait ce qu'il fallait faire mais pleurer, avant la nuit, non, ça tu n'as pas pu" puis de ses efforts pour pouvoir enfin libérer ses pleurs, de la douceur des moments où elle y parvient en écoutant des chansons d'amour, elle parle du "plaisir de pleurer", des pleurs qui finalement viendront naturellement quand son corps sera terrassé par une sorte de grippe. Certainement un des passages les plus émouvants...
Angélique Villeneuve nous relate également les réactions de son entourage, sa peur de faire peur, d'être isolée, les gens qui l'évitent, les phrases toutes faites que certains lui disent et le "rictus désolé et rassurant qu'elle a appris à se composer", le bien que çà lui fait de voir les enfants des autres alors que "Ces autres.... Ils te demandent pardon de leurs enfants vivants".
Elle évoque à demi mot son mari et ses deux filles avec une grande pudeur, une grande intelligence.
Ce témoignage très intime, sincère, constitué de chapitres courts d'une rare intensité, est lumineux et bouleversant. Il est empreint de pudeur et de dignité, sans aucun apitoiement sur son sort et surtout sans aucun jugement sur le geste de son fils dont elle respecte le choix, la question du pourquoi n'est jamais posée. Elle préfère se centrer sur tout ce que son fils lui a apporté.
Pour couronner le tout, l'écriture est sublime, extrêmement douce et poétique me donnant très envie de lire les précédents romans d'Angélique Villeneuve.
Voici ce que dit Angélique Villeneuve à propos de son livre : "L'écriture de ce texte est sûrement un baume mais je ne l'ai pas écrit
que pour moi, mais aussi et surtout pour le lecteur. Pour que le baume
transparaisse et coule aussi sur le lecteur. J'écris sur des femmes
ordinaires qui répondent à des histoires extraordinaires qui cherchent
la lumière dans le noir. Qui tiennent debout. Mon travail d'écriture va
vers la lumière."
Merci à Zélie et aux Éditions Grasset pour cette belle découverte.
Citations
"Au-dedans, la main nouée d'un jeune homme de vingt et un ans t'accompagne dorénavant.
Cette main comprime un invisible nid de tendons, de ressorts enragés dont tu ignores si un jour, à force d'efforts et de jours, ils auront fondu et sauront flotter, calmes, là, juste au dessus de l'os de ta hanche."
"Voilà qu'on te l'accorde enfin, la mot qui te nomme, toi, avec le poing serré au milieu du corps. Tu es shakoula, et son père est shakoul, tu existes en hébreu, vous existez tous les deux, quelque part.
"Ce dont, à la rigueur, tu es capable, c'est de faire. Faire au lieu d'être, faire pour essayer d'être."
L'auteur
Angélique Villeneuve, née en 1965, a vécu en Suède et en Inde et réside en banlieue parisienne aujourd'hui. Elle est styliste culinaire dans divers magazines et romancière.
Auteur pour adultes, elle essaie de s'adresser à la jeunesse au début des années 2010 avec "A la recherche du paon perdu".
19ème contribution au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de
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