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lundi 20 avril 2020

Il est des hommes qui perdront toujours de Rebecca Lighieri

Date de parution : mars 2020 chez P.O.L. 
Nombre de pages : 384 

" L'espérance de vie de l'amour, c'est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c'est l'enfance, quand elle s'est mal passée, on y reste coincé à vie"

L'histoire se déroule à Marseille entre les années 80 et 2000. Le narrateur Karel vit dans la cité Antonin Artaud, une cité fictive des quartiers nord de Marseille, proche d'un bidonville, le Passage 50, où habitent des gitans sédentarisés là depuis une vingtaine d'années. Les gitans continuent à être perçus comme des étrangers par les marseillais et la cité Artaud et le Passage, séparés d'à peine un kilomètre, sont deux mondes qui ne se rencontrent jamais.

Karel a une sœur Hendricka et un jeune frère handicapé Mohand. Karel devient ami avec Rudy, un jeune gitan, et c'est auprès de la communauté des gitans du Passage 50 que la fratrie trouve un peu de chaleur humaine car ils vivent un enfer chez eux auprès d'un père violent et alcoolique que Karel qualifie de brute cruelle. Brimades, insultes, coups sont le lot quotidien des trois enfants, en particulier de Mohand, souffre-douleur du père, en effet la haine du père se concentre sur Mohand, une proie facile à cause de ses disgrâces.

On apprend dès le début du roman que le père a été assassiné. C'était une brute toxicomane qui vivait des allocations et de trafics. Avec sa femme ils formaient un couple particulièrement toxique, la mère, d'origine kabyle, n'a jamais protégé ses enfants. " Il y a des âmes incurables et perdues pour le reste de la société. Supprimez-leur un moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres." 

J'ai adoré ce roman social parfaitement construit, très romanesque et très bien rythmé. La noirceur  domine mais on y trouve aussi beaucoup de sensualité et d'amour. J'ai aimé que l'auteure situe son roman dans la communauté des gitans, j'ai particulièrement apprécié la façon dont elle les présente évitant tous les clichés, notant le soin que mettent les femmes à entretenir leur intérieur qui se résume à une caravane pour une famille souvent nombreuse. Ces gitans qui ne vivent pas bien leur sédentarisation et qui restent attachés à leurs croyances et leurs superstitions vont sauver l'enfance des trois jeunes d'un désastre absolu. J'ai aimé la façon dont elle décrit la vie dans la cité bercée par le foot avec l'équipe de l'OM et par les chansons d'amour clamées par les chanteurs à la mode car "plus on est éloigné de l'amour, plus on écoute des chansons qui le célèbrent", une culture populaire, la seule accessible à une population  confrontée au quotidien à la violence et à la drogue.
L'amour qui lie les trois enfants de cette famille est particulièrement fort, le regard des deux ainés sur leur jeune frère est d'une absolue beauté et leur rage de vivre, ou plutôt de survivre, traverse tout le roman. L'enfance volée, la souffrance et la honte, la difficulté d'être, l'incapacité à vivre, le poids du passé, la crainte d'avoir reçu la violence en héritage, les pulsions destructrices contre lesquelles il est difficile de lutter, tous les éléments de la tragédie qui va se dérouler sous nos yeux sont en place. C'est le roman du déterminisme social, le roman d'une enfance massacrée par la violence d'un père et par la folie d'une mère source d'une violence perverse moins visible mais tout aussi déstructurante. Une écriture vive, des dialogues particulièrement soignés qui sonnent très juste, des personnages forts, un récit qui ne tombe jamais dans le misérabilisme. Un gros coup de cœur pour ce roman riche en émotions de toutes de sortes que j'ai lu le cœur souvent serré.


L'auteure



Rebecca Lighieri, pseudonyme d’Emmanuelle Bayamack-Tam, prix du Livre Inter 2019 pour "Arcadie", a reçu sous ce pseudonyme le Prix Littéraire de la ville d’Arcachon en 2017 pour son livre Les Garçons de l’été.










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2 commentaires:

  1. Une autrice que je n'ai pas encore découverte. Je note, je note

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    Réponses
    1. J'ai lu trois livres d'elle, sous son vrai nom et sous son pseudo, à chaque fois elle a fait mouche !

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