Date de parution : août 2018 chez Grasset
Nombre de pages : 400
La narratrice Shirin a huit ans lorsqu'elle doit fuir avec ses parents Téhéran et la révolution islamiste iranienne, sa mère est enceinte du "tout petit frère" qui va naître en France. Ils vont s'installer à Paris chez les sœurs de sa mère et vivre dans une grande promiscuité avec le reste de la famille dans un appartement exigu, bien loin du faste de l'Iran.
Réfugiée sous son canapé, Shirin décrit ce qu'elle observe, elle découvre les membres de sa famille dans leur brutalité, leur extrémisme avec toute la naïveté d'une enfant de son âge sans jamais porter de jugement sur le comportement des adultes. Les femmes rivalisent de séduction, les hommes multiplient les réunions politiques jouant aux parfaits révolutionnaires, les affreuses tantes dominent et humilient la mère de Shirin que la petite fille méprise de se laisser ainsi malmener, le père est silencieux et complètement effacé... Une communauté pittoresque et fantasque où règne de la fantaisie mais aussi beaucoup de violence, entre les sœurs mais aussi entre le grand-père et ses filles... Observatrice pleine d'humour de la psychose familiale, Shirin va peu à peu faire l'apprentissage de la liberté, du désir et de l'amour et finir par gagner son indépendance.
Abnousse Shalmani souligne l'importance de l'apprentissage de la langue du pays d'accueil, l'importance pour l'exilé d'acquérir le français pour se faire accepter, son obsession du mot juste. L'apprentissage de la langue par Shirin va fausser ses rapports avec ses parents qui vont avoir honte de dépendre de leur fille de 9 ans pour les formalités administratives " l'exil fait çà aussi : il tue la filiation, il renverse le rapport de force". "Ils avaient besoin de moi pour survivre dans le nouveau pays, je n'avais plus besoin d'eux pour vivre"
J'ai adoré ce roman baroque qui multiple les genres mêlant des passages graves à d'autres loufoques, passant de la fiction à la fable et à la magie, le tout empreint d'autofiction et parsemé de contes iraniens. Avec une touche de réalisme magique, Abnousse Shalmani met en scène des personnages hauts en couleur, parfois monstrueux, se situant entre réel et imaginaire et une Shirin qui refuse le déterminisme familial et la nostalgie. Sous ses airs légers et fantasques, j'ai trouvé ce roman plus profond qu'il n'y parait du premier abord. Avec cet exil tragi-comique l'auteure nous parle de façon très originale de l'exil, du manque du pays natal, de la dislocation familiale et du déclassement de l'exilé, de sa reconstruction loin de son pays d'origine. Elle met en scène l'exilé de façon complètement inattendue en l'humanisant et en transformant son exil en épopée sans perdre de vue la souffrance que reste l'exil "L'exilé n'a pas d'autre visage que celui de l'exil : il ne sera jamais son pays d'adoption, pas davantage que le pays natal. J'ai fini écrasée comme tous les exilés entre un souvenir et un espoir". Le tout est joliment baigné d'éléments de la culture iranienne, des croyances et superstitions, de l'art de la politesse "le tarof", du déterminisme "le janam", de la crainte du mauvais œil, de l'emprise de la famille. L'écriture vive et visuelle, la narration bien rythmée font de ce roman foisonnant et très riche un petit régal.
Delphine a réalisé une interview très intéressante d'Abnousse Shalmani.
Citations
" L'exil, une claque qui vous déstabilise à jamais. C'est l'impossibilité de tenir sur ses deux pieds, il y en a toujours un qui se dérobe comme s'il continuait de vivre au rythme du pays perdu."
" Je cherchais à travers les choix de mon ascendance comment m'échapper des fils de son destin."
" Quelque chose me disait que la boue où j'avais grandi était la bonne matière à travailler pour trouver mon vrai visage."
" Nous étions prudents, nous refusions les promesses pour pouvoir les tenir. "
" La majorité des exilés n'osent pas ne pas sourire, ils se sentent comme en danger. Etre gentil, c'est éviter le conflit, désamorcer la peur."
L'auteur
Née à Téhéran en 1977, Abnousse Shalmani s'exile avec sa famille à Paris, en 1985, suite à la révolution islamique. Après un début de carrière dans le journalisme et le cinéma, elle revient à sa vraie passion, la littérature, et signe un premier livre très remarqué : "Khomeiny, Sade et moi" en 2014. "Les exilés meurent aussi d'amour" est son premier roman. (Sources : Éditeur)