mercredi 19 octobre 2016

A la fin le silence de Laurence Tardieu


Date de parution : août 2016 au Seuil
Nombre de pages : 176


Quand Laurence Tardieu a su que le refuge de son enfance, la maison de ses grands-parents maternels, sur les hauteurs de Nice, allait être vendue, elle a commencé un livre "afin de ne pas la perdre totalement". "Perdre la maison, ce n'était pas seulement perdre le lieu où j'avais des souvenirs heureux, des racines, un présent. C'était également perdre l'unique élément de ma vie qui m'offrait le réconfort de la permanence."
Mais à peine s'était-elle lancée dans l'écriture que les attaques contre "Charlie Hebdo" et l'hyper casher sont survenues, attaques qui l'ont laissée, comme la France entière, dans "un état de sidération et de choc" , elle a alors tenté de "trouver les mots face à l’innommable".
Elle réalise qu'elle ne peut plus écrire sur la maison de son enfance, que pour la première fois écrire "sur le dehors" s'impose à elle.

Trois parties dans ce texte avec chacune son rythme : la première, rapide, urgente, qui correspond aux trois journées des 7, 8, 9 janvier 2015. La seconde, sur un tempo plus lent, relate le temps en suspens où elle ressent que le monde a changé, que plus rien ne serait comme avant, alors qu'elle porte un enfant ce qui lui apparaît alors comme un paradoxe insensé, presque violent. Paradoxe de donner la vie dans un monde en ruine..."L'imprévisible était entré dans nos vies".
La troisième partie enfin qui tente de trouver une issue, du sens, pour ne pas abdiquer, alors même que la deuxième vague d'attentats du 13 novembre vient de nous frapper et que son petit garçon est venu au monde.

Laurence Tardieu cite des extraits d'interviews d'écrivains confrontés aux attentats quotidiennement dans leur pays, notamment l'auteure israélienne Zeruya Shalev, elle même victime d'un attentat en Israël et parle de fraternité silencieuse avec ces écrivains. Par contre, le parallèle qu'elle semble suggérer entre elle et ces écrivains m'a gênée car elle n'a pas été , contrairement à eux, touchée directement par les attentats. 

Elle tente d'exprimer à quel point les frontières entre le "dehors" (le monde) et le "dedans" (sa maison) sont devenues poreuses, à quel point la perte du lieu de son enfance entre en écho avec son sentiment de fissuration du monde. 

Elle se demande comment lutter, affronter la réalité ou partir comme le suggérait votre grand-père et réalise que sa vie est ici, même davantage menacée.

Laurence Tardieu explore la question du refuge intérieur, ce lieu d'ancrage où l'on éprouve un sentiment de sécurité intérieure et décrit le sentiment de dépossession qu'elle a ressenti avec la perte de sa maison. 
Elle trouve les mots pour décrire l'état de sidération qui a saisi la France après les attentats mais son rapprochement constant entre la perte de sa maison et les attentats m'a agacée tout au long de ce texte que j'ai au final trouvé assez nombriliste et larmoyant. 
Comparer ce que le monde a perdu ce jour là avec la perte de sa maison me parait indécent même si je comprends en partie sa démarche. Dire tout le long du texte que ce n'est pas comparable mais comparer quand même...
Ce n'était sans doute pas le meilleur angle pour aborder la question délicate des attentats même si j'ai trouvé dans ce récit une mise en mots intéressante sur nos ressentis au moment des attentats...

Clara, Mimi et Delphine ne partagent pas mon avis...

Citations
"La sensation dans tout le corps que le désastre avait commencé,  qu'il n'y aurait plus de fin."

"On disait désormais "migrant", on avait enlevé le préfixe im-, on avait coupé dans le mot et il me semblait qu'on avait tranché dans la chair, ils étaient migrants, ils n'étaient encore nulle part, à l'intérieur d'aucune terre, d'aucun refuge, ils étaient migrants,  le corps amputé dès leur désignation de la moindre perspective d'un quelconque "intérieur"... ils restaient à la lisière,  au seuil... partout on fermait les frontières, partout on s'affolait... on érigeait des barbelés,  des clôtures,  les migrants erraient dans des espaces qui, comme eux, n'avaient plus de nom"


L'auteur

Laurence Tardieu est une écrivaine et comédienne française née en 1972.
Elle a fait des études de commerce. Elle vit actuellement à Paris.
En parlant de son métier d’écrivain, Laurence Tardieu parle "d'abandon à l'écriture et à l'émotion" : il en résulte une œuvre riche et profonde. 






29ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2016






6 commentaires:

  1. Encore une chronique très intéressante. J'aime habituellement plutôt bien ce qu'écrit Laurence Tardieu mais il m'est déjà arrivé d'être déçue par deux de ses romans. Vu ce que tu écris sur celui-ci, je sens que comme toi je serais agacée par son parti pris. Je te fais donc confiance et passe mon tour.

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    1. C'était mon premier roman de cette auteure et je crois que ce n'était pas le bon pour la découvrir...

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  2. Je ne pense pas qu'elle compare. Il se trouve que les événements, l'un appartenant à la sphère intime et privée, l'autre public, sont intervenus au même moment. Cela lui permet d'exprimer un phénomène de résonnance et d'amplification, ainsi qu'une immense fragilité. Elle dit ce que personnellement j'ai ressenti, à savoir l'impression qu'il n'y avait plus de refuge, plus de sentiment de sécurité possible. Pour ma part, elle a mis des mots qui ont rencontré ce que j'ai pu ressentir après les attentats.

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    1. J'attendais ta réaction Delphine!
      J'aime l'autofiction mais là j'ai trouvé que c'était trop nombriliste et que ça sonnait faux comme si elle avait voulu rattacher ensemble l'histoire de sa maison qu'elle avait commencée à écrire à celle des attentats.
      Je comprends ce qu'elle a voulu exprimer mais son histoire de maison a tout gâché pour moi... J'attendais sans doute trop d'un texte sur les ressentis suite aux attentats...

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  3. Je rejoins ce que dit Delphine. Et à ta réponse à son commentaire, je n'ai pas trouvé que cela sonnait faux, bien au contraire.

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    1. Je ne suis pas surprise de ton commentaire Clara, j'ai vu que ce livre a été un coup de cœur pour toi.
      L'histoire de sa maison a complètement parasité ma lecture et je trouve qu'elle se complait dans un rôle de victime, se comparer à Zeruya Shalev quand même.... qui ELLE a vraiment été touchée dans sa chair...
      Mais je comprends tout à fait qu'on puisse aimer ce livre...

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