mardi 1 février 2022

Triste Boomer d'Isabelle Flaten

 


Date de parution : janvier 2022 chez Le nouvel Attila
Nombre de pages : 176

John se retrouve "sans vie, sans envie" lorsqu'il prend sa retraite après avoir consacré sa vie à son entreprise de conseil en développement durable. Lui qui courait toujours après le temps, tourne désormais en rond, sans aucun horizon, sans réussir à concrétiser ses projets de retraite (peinture, cuisine, humanitaire, voile...)  "Lorsque la retraite lui est tombée dessus, il s'est pris un gros coup de vieux, le temps s'est arrêté."

Il est seul car il n'a jamais su retenir une femme, sa vie était tellement centrée sur la réussite, sur la constitution d'un empire qu'il en perdait aussi de vue ses amis.  Il prend conscience qu'il est passé à côté de ce qui est vraiment important, surtout en matière de sentiments. Il décide alors de reconquérir Salomé une de ses ex compagnes, plus jeune que lui et issue d'un milieu populaire, pour qui il a éprouvé de vrais sentiments et avec qui il espère reconstruire une histoire d'amour.

Salomé est devenue Madame de Chassaigne de la Ferrière après avoir épousé un duc désargenté, réalisant ainsi le rêve d'ascension sociale de ses parents. Elle est maintenant veuve avec deux grands enfants et a voulu conserver le château en mémoire de son défunt mari mais elle se languit dans le donjon du château, son refuge, sous le portrait d'un aïeul du duc, son confident, en proie comme John à des questions existentielles. Enfermée dans son rôle de châtelaine, elle prend conscience que sa vie lui a échappé. 

Entrainé par une amie, John passe quelques jours dans un centre de développement personnel avant de rejoindre Salomé qui a répondu à son mail, tout est en place pour le conte de fées. 

Isabelle Flaten signe ici un conte de fées moderne entre deux êtres en plein questionnements existentiels, ce sont deux solitaires qui ont laissé leur vie leur échapper. Ce conte de fées est doublé d'une comédie réjouissante sur les maux de notre époque.

Isabelle Flaten a eu l'idée géniale de confier la parole, pendant une bonne partie du récit, à l'ordinateur de John, son unique compagnon, celui qui le connait le mieux par son historique de recherche, les archives, les photos stockées dans ses entrailles. Un ordinateur plein de nostalgie comme John "moi aussi je suis nostalgique du temps où je n'existais pas, de ce monde englouti où les chagrins d'amour et les regrets éternels s'exprimaient à la plume."

Ces propos de l'ordinateur sont l'occasion de réparties savoureuses "Ne me tape dessus comme ça John.... Viens me récupérer et renouons le fil de notre idylle l'un sans l'autre nous ne sommes rien et tu le sais". Quant à Salomé, l'auteure confie son observation à l'aïeul du duc enfermé dans son tableau qui a bien du mal à accepter notre époque tout en ne restant pas insensible à certaines modernités, son regard décalé sur notre époque est jouissif "Une femme sans maître, c'est la porte ouverte à l'hystérie. L'inquiétude me dévore tant que j'en ai les dorures du cadre qui s'écaillent, les couleurs qui passent, les fixations qui dégringolent...Quand le maître aboie, son épouse la ferme et le monde tourne rond." Un ordinateur, un portait de marquis, deux objets, l'un symbole de modernité, l'autre symbole des temps anciens au milieu desquels se glisse de temps en temps le chœur des voisines de John qui observent et commentent le comportement de leur voisin.

Une satire sociétale réjouissante qui passe au vitriol un certain nombre de travers de notre époque, le féminisme à outrance, les stages de remise en forme, le culte du développement personnel, le jeunisme, le coachisme, les thérapies alternatives...C'est drôle, tendre et impertinent. Un ton délicieusement mordant et un rythme trépidant pour traiter intelligemment d'un sujet sérieux. 

Jubilatoire ! On s'amuse autant qu'Isabelle Flaten semble s'être amusée en écrivant ce roman.


L'auteure 

Isabelle Flaten est née au milieu du siècle dernier à Strasbourg. Elle a été un temps enseignante, très longtemps flemmarde, jusqu'au jour où, décidée à cultiver ses chimères, elle a commencé à écrire. Elle a publié plusieurs romans très remarqués des libraires, dont "Adelphe" au Nouvel Attila. Son œuvre minutieuse s'intéresse aux relations avec l'autre et remet l'altérité sans cesse en question. (Source : éditeur)



Lu de cette auteure




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