Date de parution : janvier 2024 chez Julliard
Nombre de pages : 224
PREMIER ROMAN
" Je ne veux plus fermer les yeux. Je ne peux plus fermer les yeux."
Préambule " Ce livre est un roman dont le personnage principal est réel. Ce photographe existe et vit caché quelque part en Europe. Son nom de code est César. Les atrocités décrites sont avérées, les faits sont documentés, mais sa voix est la mienne."
Un matin, César, photographe au service funéraire de l'armée syrienne, voit arriver quatre corps torturés. Puis d'autres et encore d'autres. Dans cet hôpital militaire où il travaille, César est chargé de prendre des clichés réglementaires des corps pour le bureau du procureur.
César, qui n'avait jamais remis en cause l'ordre établi, commence à se poser des questions devant l'arrivée continue de fourgons rouillés pleins de cadavres, devant les corps alignés dans la salle aux carreaux blancs de la morgue.
Le sujet de ce roman est très fort, la lecture de certains passages peut s'avérer éprouvante mais ce texte constitue un vibrant hommage à un peuple martyr.
César ne s'était jamais engagé, n'avait jamais critiqué ouvertement le président sans pour autant chanter ses louanges non plus, l'auteure montre bien comment il doit se contrôler en permanence, " ce ne serait pas prudent " est une phrase qui revient souvent. Elle décrit comment, pour ne pas éveiller les soupçons, lui et sa femme n'empêchent pas leur fils de tuer les terroristes avec son fusil en plastique ni leur fille de chanter à tue-tête son amour du président.
C'est le cheminement de cet homme que l'auteure nous raconte. La peur au ventre, les prises de photos comme un automate, les nuits sans sommeil, l'impression d'être en permanence espionné, le dégoût devant le comportement odieux de certains de ses collègues, les fantômes torturés et les orbites sans yeux qui hantent ses nuits, sa prise de conscience progressive de la terreur dans laquelle son pays est en train de basculer, " notre pays s'est abîmé dans les flots de sang", sa colère, sa volonté de faire passer des photos des suppliciés pour qu'elles circulent dans le monde entier. Voler la liste de noms des bourreaux, Apporter des preuves au monde entier devient son obsession alors qu'il sait qu'il risque le cachot et le supplice. L'ambiance de peur, les sentiments qui évoluent, les moments de lassitude sont très bien restitués par Gwenaëlle Lenoir.
"Et puis les morts des fourgons rouillés m'ont emporté. Ils ont débordé de mon appareil photo....Je me suis assis devant l'ordinateur et j'ai copié les morts, je les ai enfouis dans les tréfonds de la clé. Prêts à voyager encore, jusqu'aux vivants qui reconnaîtraient leurs souffrances, aux justes qui s'agenouilleraient devant eux."
Un sujet sur la documentation des exactions du régime syrien par un photographe très courageux ne peut que nous toucher. Il est un peu dommage que le style peu littéraire, le rythme un peu lent et les répétitions desservent ce récit. Quoiqu'il en soit, je n'oublierai pas l'image très forte de ce photographe qui se déplace avec la carte mémoire chargée de photos dans sa sacoche au milieu des biscuits à la fleur d'oranger ni la liste de noms qu'il a photographiée et cachée dans un placard au fond de la poche intérieure de sa veste de mariage.
Citations
" Il ne salit pas sa blouse, il ne salit que son âme."
" Nous avions peur de nos cauchemars et des coups frappés contre la porte."
" Je veux crier. Je sais que ce n'est pas possible. Je veux fuir. Je sais que ce n'est pas possible."
" Dans ce pays, si on vit vieux, c'est qu'on sait dissimuler. Ou qu'on est du côté des salauds."
L'auteure
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