Nombre de pages : 320
" Il est impossible d'écrire quoi que ce soit. On ne transmet pas une désagrégation. On ne raconte pas un délitement. "
C'est ainsi que débute le témoignage de Riss, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, survivant de l'attentat du 7 janvier 2015 au cours duquel il a été blessé à l'épaule. Une minute quarante-neuf secondes, c'est la durée de l'attaque des deux terroristes.
" Je reprenais le
décompte des dernières secondes de ma vie :
une seconde, je suis encore
vivant.
Une autre seconde, je suis toujours vivant.
Encore une autre
seconde, je ne suis toujours pas mort."
Outre le récit de ce jour fatidique, Riss nous livre ses souvenirs d'enfance, sa prise de conscience très jeune de la possibilité d’être confronté un jour à une guerre et à la mort. Il évoque sa rencontre avec Cabu et Charb et ses débuts dans la presse satirique. " Rire c'est d'abord réfléchir ". Il décrit l'envers du décor du journal satirique, indépendant, sans publicité ni subventions, un journal auquel il a consacré 24 ans de sa vie.
Il raconte également l'après 7 janvier, la difficulté à quitter la " coquille protectrice de l'hôpital ", le retour dans la rédaction de Charlie rapatriée dans les locaux de Libération. Riss est un des deux actionnaires survivants du journal. Très vite il se retrouve face à des requins, des opportunistes qui, une fois les piliers de Charlie disparus, révèlent leur véritable
personnalité face aux enjeux autour des sommes
colossales reçues par Charlie après l'attentat, il se retrouve face à des membres du journal qui ne parlent que d'actions et de redistribution des actifs. Riss fustige ceux du journal qui se proclament rescapés alors qu'ils se
trouvaient à des centaines de kms des locaux du journal ce jour là et ceux qui alimentent la presse de commentaires fielleux. Il dénonce le cynisme, les stratégies et manœuvres et raconte son combat pour que l'argent récolté soit réservé exclusivement à l'activité du journal et non reversé aux actionnaires.
Il y a beaucoup de ressentiment dans ce récit, envers certains de ses collaborateurs,
à l'égard de l'élite intellectuelle et politique "la compétence et la
connaissance ne sont malheureusement pas toujours synonymes d'audace et
de courage " , envers les voleurs de mort qui ont tenté de tirer profit de leur destin tragique. Riss ne mâche pas ses mots pour fustiger ceux qui ont eu un comportement indigne après l'attentat.
Ce récit est très différent de celui de Philippe Lançon qui avait centré son récit sur sa reconstruction. Le témoignage de Riss, beaucoup moins littéraire, reprend l'avant 7 janvier 2015 avec ses débuts, sa rencontre avec Cabu et Charb, la renaissance de Charlie Hebdo en 1992, l'incendie de leurs locaux en 2011 et la publication des caricatures de Mahomet. Il s'étend sur l'après 7 janvier, les soins sous une fausse identité à l'hôpital, la journée du 11 janvier passée dans sa chambre de l'hôpital où " il attend le moment où la marée se retirera quand les crabes recommenceront à nous cisailler les mollets ", sa vie sous protection policière, sa vie après avoir vu la mort en face, les séquelles physiques et psychologiques et l'impossible retour à une vie "normale".
Riss a une histoire et une relation différentes de Lançon avec les victimes auxquelles il était lié par un passé commun et une forte amitié, il leur rend un bel hommage dans de courts chapitres insérés dans son récit, on perçoit toute son admiration pour ses amis dessinateurs de presse ou caricaturistes pour qui
dessiner ou écrire dans Charlie Hebdo avait toujours été un acte politique. Ces passages allègent ce texte empreint de douleur, de révolte et de colère. Je souhaite que Riss parvienne à retrouver un minimum d'apaisement après nous avoir livré ce témoignage honnête et d'une grande sincérité.
Citations
" De cette salle de rédaction dévastée, peut-être ne sortirai-je jamais."
" Les blessés ont du mal à exister. Ils ne sont pas morts et leurs noms ne sont inscrits nulle part. Mais ils ne sont plus les vivants qu'ils étaient avant."
" Il ne sera plus jamais possible de jouer cette farce de la vie qui continue comme avant."
" Au sein même de ce pauvre journal, nos peines et nos traumatismes furent contraints à cohabiter avec l'ignoble."
L'auteur
Né en 1966, Riss rejoint La Grosse Bertha en 1991 où il rencontre Charb, Luz, Cabu, Philippe Val et toute l’équipe du futur Charlie Hebdo. En juillet 1992, il participe à la reparution de Charlie Hebdo.
En 2009, à la suite du départ de Philippe Val, il partage avec Charb la
direction du journal. Le 7 janvier 2015, il est blessé lors de
l’attentat contre Charlie Hebdo et devient le directeur du journal. (Sources : éditeur)
Riss a la dent dure contre certains membres de l'équipe (il ne donne pas de noms, mais on peut à peu près voir qui il cible... il y a eu des départs de la rédaction après son retour).
RépondreSupprimerA ma connaissance, ils sont plutôt rares, les blogs à avoir mis en parallèle les deux livres (celui de Lançon et celui-ci). je n'ai pas l'impression que vous lisez (ou en tout cas chroniques!) de BD. Mais les "survivant(e)s" Luz, Catherine, Coco, ... ont aussi fait leur catharsis avec différents albums autour de leurs souvenirs de Charlie avant et après l'attentat...
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Je lis en effet très peu de BD mais j'ai lu La légèreté de Catherine Meurisse que j'ai beaucoup aimée.
Supprimer