mercredi 18 janvier 2023

Les chemins d'exil et de lumière de Céline Lapertot

Date de parution : 4 janvier 2023 chez Viviane Hamy
Nombre de pages : 180

C'est l'histoire de Karelle Dia, "congolaise à l'âme d'argile", née d'une mère congolaise et d'un père militaire ougandais, " deux sols qui ne s'aiment pas", contrainte à l'âge de huit ans de quitter avec sa mère Gisèle son pays en guerre. Gisèle part pour protéger sa fille, en France elles vivent les démarches sans fin à la préfecture en vue d'obtenir la nationalité française, le logement chez une amie avant d'obtenir une place dans un hôtel, puis des séjours d'hôtels en hôtels de plus en plus insalubres, la vie au milieu des blattes, des punaises de lit dans des conditions d'hygiène épouvantables. Un parcours qui se poursuit dans un lieu collectif dépendant d'une association où toute intimité est exclue, la vie obligatoire entre "gens de la même tribu", jusqu'à l'OQTF, Obligation de Quitter le Territoire Français.

La découverte de l'éloquence ouvrira la voie de Karelle vers un avenir dans le théâtre où elle découvrira que certains rôles sont réservés aux blancs alors qu'elle voulait prétendre à tous les rôles oubliant la couleur de sa peau. Sur scène elle pourra déclamer " Je suis Karelle Dia au souffle aussi fort que la guerre de mon pays, je suis un roc, la scène est ma patrie."

Céline Lapertot se met dans la tête de Gisèle et de Karelle. Gisèle pour qui le plus important est de préserver sa dignité, de se fondre dans ce pays qui est devenu le sien et surtout de travailler, Karelle pour qui le respect de son corps est une priorité et qui ne veut pas laisser la pauvreté prendre possession de son corps. Céline Lapertot trouve les mots pour décrire de façon très réaliste les hôtels, leur crasse, les odeurs mais aussi les sentiments de Karelle qui oscillent entre rage, dégoût, humiliation et honte. Elle dénonce avec une colère à peine rentrée les conditions d'accueil des migrants en France, pays des Lumières, pays des droits de l'Homme et du Citoyen et met également en lumière une communauté forte et solidaire. 

Karelle éprouve de la reconnaissance et un amour démesuré pour sa nouvelle Patrie. Brillante à l'école, elle choisit la lutte et "d'être absente à ce monde tant que ce monde durera". La découverte de l'éloquence, de l'art de bien parler, d'argumenter et sa participation à un concours d'éloquence à l'âge de quinze ans vont être le point de départ d'une vie au théâtre où elle pourra utiliser les mots comme une arme, dans un lieu où des femmes comme Phèdre l'aideront à atteindre la lumière.

Tout le roman est traversé par la dignité "gravée dans la chair", par la vitalité, la ténacité de Karelle, la lumière qui émane d'elle et l'amour qui continue à unir ses parents pendant des années malgré la séparation. Après des chapitres très durs sur les conditions d'accueil des migrants, Céline Lapertot nous offre de magnifiques passages sur l'éloquence et sur le théâtre.

En fin de récit, le roman prend une autre dimension lorsque nous découvrons que le personnage de Karelle est inspiré de Marlaine, une jeune fille que l'auteure a suivi dans son parcours, que les phrases en italique dans le roman sont extraites du discours "Prouver la supériorité de l'homme sur la femme" prononcé par Marlaine en demi-finale d'un concours d'éloquence en 2018. Marlaine, une jeune fille dont la ténacité et l'obstination forcent l'admiration, une jeune fille qui n'a de cesse de revendiquer le fait qu'elle est africaine. On se dit que Céline Lapertot a eu de la chance de rencontrer une telle personne qui elle-même a eu la chance de voir son histoire romancée par une telle auteure.

Un roman puissant sur le déracinement avec une héroïne très attachante. Un roman dans lequel Céline Lapertot montre à nouveau toute la dimension de son humanité et de son engagement.

Pour Anthony Céline Lapertot est une artiste militante qui prend les choses à cœur et arrive à toucher le nôtre.


Citations

" Elle n'a pas envie de se contenter de vivre, elle veut exister."

" Gisèle ne veut pas ne rien faire. Gisèle ne veut pas ne servir à rien. Et pour Karelle, partir c'est forcément réussir."

" Karelle en est certaine, oublier à ce point le respect de son corps, c'est oublier de choyer son âme, son esprit, la profondeur de ses pensées."

" La pauvreté est une étiquette à la colle puissante. Une étiquette visible au milieu de ton front. Si tu n'y fais pas attention, elle s'étend, s'étend, jusqu'à prendre possession de l'intégralité de ton visage avant de dévorer ton buste et ton ventre... Tout ton corps respirera la pauvreté, ton langage sera le langage de la pauvreté et les autres liront sur toi la pauvreté; ton néant social page après page."  


L'auteure


Céline Lapertot est professeur de français à Strasbourg. Depuis l'âge de 9 ans, elle ne cesse d'écrire. Elle s'est imposée comme une auteure à suivre de la littérature française contemporaine. Ses cinq ouvrages " "Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre" (2014), "Des femmes qui dansent sous les bombes" (2016), "Ne préfère pas le sang à l'eau" (2018), "Ce qui est monstrueux est normal" (2019) et "Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance" (2021), ont tous été publiés chez Viviane Hamy. (Source : éditeur) 



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