mercredi 28 septembre 2016

Les Correspondances de Manosque - Septembre 2016



Manosque inscrit la littérature à son programme pendant cinq jours lors des  Correspondances de Manosque, festival littéraire au cœur de la Provence, dans la ville natale de Giono. J'y ai déjà assisté en 2014, cette année j'ai eu l'honneur d'être choisie comme "reporter" pour lecteurs.com, mon article va paraître sous peu sur ce site.
Dans le centre historique de Manosque sont organisées des rencontres, des débats en extérieur auxquelles le public assiste en déambulant de place en place, le tout au milieu de la vie du village avec les cris des enfants qui jouent dans le parc voisin et le marché le samedi matin, un festival au cœur de la ville et de la vie. Un festival à taille humaine qui offre une grande proximité avec les auteurs invités que l'on peut croiser au détour d'une rue, à la terrasse d'un restaurant...
L'installation d'écritoires tous plus originaux les uns que les autres et les nombreuses citations des écrivains présents peintes sur les murs complètent le décor de ce festival.



 Des fonds de scène magnifiques


Il m'est difficile de faire un choix parmi les multiples moments de pur bonheur qui m'ont encore été offerts cette année durant trois jours du vendredi 23 au dimanche 25 septembre.

Je voudrais d'abord souligner la place importante réservée aux primo romanciers cette année. Elisa Shua Dusapin (Hiver à Sokcho), Négar Djavadi (Désorientale), Catherine Poulain (Le grand marin), Gaël Faye (Petit pays), Guy Boley (Fils du feu), Thiery Froger (Sauve qui peut), Ali Zamir (Anguille sous roche) et Jérôme Chantreau (Avant que naisse la forêt) faisaient partie des auteurs à l’honneur.
Serge Joncour, qui a présidé cette année le prix du premier roman « Envoyé par la poste » et le prix Stanislas du premier roman, a rendu un bel hommage aux premiers romans en parlant de son plaisir d'entendre une voix pour la première fois et en soulignant la qualité et la diversité des premiers romans parus cette année.
Engagée dans l'aventure des « 68 premières fois » qui a pour objectif de faire découvrir le plus largement possible des premiers romans, j'ai particulièrement apprécié de rencontrer ces auteurs. J'ai été attendrie par leurs maladresses, leur timidité parfois face aux questions des journalistes comme Elisa Shua Dusapin qui ne parvient dans un premier temps qu'à balbutier un merci. Plusieurs ont exprimé leur étonnement face au succès de leur roman, Gaël Faye dit attendre le clap de fin d'une caméra cachée nationale, Négar Djavadi dit être encore dans l'étonnement d'avoir trouvé un éditeur...

Parmi les rencontres les plus marquantes de ces trois jours je retiens

Une rencontre avec Serge Joncour (« Repose-toi sur moi ») et Guy BoleyFils du feu ») au cours de laquelle éclatait une jolie complicité entre eux, tous deux ont évoqué une même envie de parler de la mutation de la société, du  passage d'un monde à un autre et un même intérêt pour la ruralité. Guy Boley voulait au départ écrire un roman sur ses parents qui chantaient de l'opérette pour leurs voisins, il a essayé pendant 30 ans d'écrire ce roman et conclut la rencontre par une magnifique phrase "J'ai trouvé avec l'écriture le centre apaisé de moi-même", cet auteur qui a exercé parmi de multiples métiers celui de funambule compare l'écriture d'un roman au funambulisme "Des mois de travail et ça tient debout ou ça tombe".   

La rencontre autour du livre de Luc LangAu commencement du septième jour») m'a marquée par l'analyse très pointue du style de narration de l'auteur par la journaliste Maya Michalon. Luc Lang ne décrit pas les paysages, il ne fournit que la perception qu'en a son héros, il utilise des ellipses qui annoncent des drames en très peu de mots pour induire chez le lecteur la même sidération que le héros a ressentie au moment où le drame lui a été annoncé.  Luc Lang ne veut pas que le lecteur lise un livre mais qu'il vive une expérience, pour lui « l'auteur n’est pas là pour donner le sens des choses ».


La rencontre avec Nathacha AppanahTropique de la violence ») et Ali Zamir (« Anguille sous roche ») a montré l'admiration réciproque entre ces deux auteurs qui ont publié deux romans extrêmement complémentaires et m’a permis de découvrir avec Ali Zamir un auteur à la forte personnalité qui tient à ce que son roman soit inclassable.
Nathacha Appanah souligne avoir voulu s'effacer pour laisser parler ses cinq personnages.


En écrivant Le grand marin  Catherine Poulain a voulu parler des marins et non pas de son double Lily, c'est pourquoi elle n'aborde pas les raisons de son départ de Manosque-les couteaux, "le passé n'a aucune importance, l'important c'est le mouvement."
Elle dit avoir arrêté de lire à 20 ans pour ne pas vivre par procuration.
Lionel Duroy nous parle de l'Absente, un sorte de road trip dans lequel il met en scène , comme dans beaucoup de ses livres, le personnage de sa mère. Il fait ici un portrait apaisé de sa mère et dit avoir réussi à entrer dans son âme pour la comprendre, avoir compris beaucoup de choses qui le touchent.
Il dit avoir commencé à écrire à 20 ans pour essayer de comprendre et précise "écrire sans plan mais sur une émotion. "


La fougue, l'enthousiasme débordant et la grande érudition d'Éric Vuillard m'ont impressionnée lors de la présentation de son roman « 14 juillet » , "une prise de la Bastille à ras d'hommes" où il met en scène le peuple. Un roman que j’ai maintenant très envie de lire.





La question de la double culture a  été souvent au centre des débats. Dans son roman Hiver à Sokcho, la franco-coréenne Elisa Shua Dusapin, aussi douce et sensible que l'est son écriture, a souhaité montrer le contraste entre sa France paternelle et sa Corée maternelle en comparant les plages de Normandie à celles de Sokcho. Pour mieux faire ressentir le décalage entre les deux cultures elle a écrit certains dialogues en coréen pour les traduire ensuite en français.
La franco-iranienne Négar Djavadi a évoqué la nécessité de se désintégrer pour pouvoir s'intégrer et dit avoir mêlé dans son roman Désorientale l'histoire de l'Iran et une histoire de PMA pour parler à la fois de la France qu'elle connait aujourd'hui mais aussi de l'Iran qu'elle a connu dans son enfance. Son roman offre de nombreux points communs avec Petit pays de Gaël Faye, tous deux parlent d'exil, ont une part autobiographique, commencent dans le temps présent et mettent en scène des héros qui trouvent une aide dans la culture, les livres pour l'un, la musique pour l'autre.  


Une lecture très vivante par le comité de lecture de « Marcher droit et tourner en rond » d'Emmanuel Venet nous a menés à la rencontre d'un jeune homme atteint du syndrome d'Asperger décrit avec beaucoup d'humour par l'auteur qui connait bien le sujet puisqu’il est psychiatre.








Pour son dernier roman Continuer Laurent Mauvignier raconte qu'il s'est inspiré d'un fait divers réel, de l'histoire d'un père parti avec son fils pour le sauver. Il dit avoir voulu construire son roman comme une tragédie sans fatalité.
"Un roman est une arme de transformation du monde."

Pour clôturer le festival j’ai assisté au concert littéraire « Condor Live» d'après le roman « Condor » de Caryl Ferey, une plongée en apnée très sombre dans le Chili d'après Pinochet, une interprétation magistrale de Bertrand Cantat, Marc Sens et Manusound qui donne la chair de poule.



Une parenthèse de trois jours riche en temps forts très variés et un rendez-vous que j'inscris dorénavant dans mon agenda... 

Choisie comme reporter par lecteurs.com pour ce festival, voici le lien vers l'article que ce site a publié
http://www.lecteurs.com/article/les-correspondances-de-manosque-le-reportage-de-joelle-g-lectrice/2442782

4 commentaires:

  1. Super article. C'est la première fois que je te poste un commentaire. On s'en dit tellement par ailleurs. Mais c'est très, très chouette, ton compte-rendu. Il donne vraiment envie de se rendre à cette manifestation. La seule chose qui me fait encore frémir, j'avais oublié de te le dire, c'est la mention de Bertrand Cantat. J'avoue que j'ai encore du mal...

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    1. Mais tu viens avec moi l'année prochaine ma chère Triskel c'est une évidence...Pour Cantat j'ai vu l'artiste et non l'homme. Il a une telle presence sur scène, il a accompli une magnifique prouesse sur un texte bouleversant, je t'encourage à regarder sa prestation sur internet...

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  2. Cela ne m'étonne pas que tu aies été choisie comme chroniqueuse.ton article est formidable et si bien écrit!Et que dire des photos!Bravo Joëlle!

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