Date de parution : septembre 2017 aux Éditions P.O.L.
Nombre de pages : 389
"Gratitude, c'est le mot qui me vient quand je considère la vie que j'ai eue."
Ce Journal de Charles Juliet couvre la période de 2004 à 2008, il fait suite à "Apaisement" paru en 2013. C'est un recueil de notes écrites au jour le jour, recueil de ses souvenirs, de ses rencontres avec des anonymes, des écrivains et des artistes célèbres, des professeurs et des lycéens. Il évoque aussi ses observations de passants, des histoires d’anonymes impliqués dans des faits divers... Il parle également de ses lectures, de sa passion pour la littérature, la peinture et l'art en général, en particulier de sa proximité avec Cézanne, passion qui l'a aidé à traverser des périodes difficiles de sa vie. Son travail d'écriture est aussi largement évoqué nous faisant entrevoir un homme plein de doutes.
Charles Juliet évoque de multiples contacts avec des lecteurs à l'issue de rencontres, contacts brefs et intenses au cours desquels ces inconnus lui confient des éléments intimes de leur vie qu'il relate au long de ce journal en respectant leur anonymat. Dans un premier temps j'ai été étonnée par la proximité qu'il entretient avec ces lecteurs qui lui confient ainsi spontanément des tranches de vie en général tragiques mais, au fil des pages, j'ai compris cette proximité en découvrant la personnalité de Charles Juliet, un homme tourné vers les autres, toujours attentif à l'autre, profondément empathique avec l'autre, un homme d'une grande humanité dont l'intérêt porté aux autres est impressionnant ainsi que la capacité à percevoir leur souffrance "Je me suis senti proche. J'avais pressenti qu'un problème avait dû assombrir son enfance." "J'ai lu de la souffrance dans ses yeux et le temps d'un éclair, je l'ai violemment aimée."
Les blessures qui nous construisent, les épreuves qui enrichissent me sont apparues comme le fil conducteur de son journal dans lequel il cite la phrase d'un de ses amis poètes : "Qui serions-nous sans nos
blessures ?" Dans une sorte de quête intérieure, il évoque son enfance, l'internement de sa mère alors qu'il n'a que quelques semaines, son placement dans une famille de paysans à l'âge de trois mois, la disparition de sa mère sept ans plus tard dans des circonstances dramatiques, son départ à douze ans pour une école militaire, la solitude dont il a longtemps souffert et le chemin intérieur parcouru pour dépasser sa souffrance. C'est un homme tourné vers les autres mais aussi vers la vie qui proclame son amour porté "aux humains, aux animaux, à la nature, à la vie dans son ensemble". Un homme animé d'une grande vitalité malgré son grand âge et d'une volonté inaltérée d'acquérir sans cesse de nouvelles connaissances.
Charles Juliet nous livre ses réactions, ses pensées, ses sentiments face à des faits simples relatés dans un désordre qui pourtant ne manque pas de cohérence. Il développe
sa réflexion, ses questionnements et nous donne sa vision du monde. Et surtout il souligne l'importance de
travailler à la
connaissance de soi pour conquérir notre liberté.
" Se connaître, c'est dépasser un inévitable égocentrisme,
se donner une assise, conquérir une liberté et une force intérieures
qui permettent de ne pas juger et de ne pas se laisser déstabiliser."
" Chacun doit intervenir en lui-même pour éliminer
ce qui l'entrave, le retient, l'empêche d'être lui-même. "
Je l'ai trouvé également très honnête dans l'analyse qu'il fait des
difficultés qu'il rencontre dans l'écriture qui est plus tourment que plaisir pour lui, il fait preuve dans ce domaine d'une grande humilité mais aussi d'un manque de confiance en lui très touchant.
"
Au fond ma difficulté à écrire m'a servi. Je peine à extraire les mots
de ma nuit, je peine à les organiser, à leur trouver leur juste place
dans la phrase qui s'élabore, mais pendant que j'hésite et tâtonne, ma
substance coule en eux, les charge de ce qu'ils ont à exprimer."
A la fois regard intérieur mais aussi regard sur l'autre et regard sur son travail d'écriture, ce journal est tout sauf nombriliste, je n'y ai relevé aucune impudeur. Il révèle un homme simple, sincère, curieux de tout et très humble qui n'émet jamais aucun jugement. Ce journal qui relate souvent des faits tragiques n'est pourtant pas triste, je l'ai trouvé au contraire assez lumineux et apaisant. Charles Juliet parle souvent de son obsession du mot juste, "du parler clair", il en ressort une écriture précise et limpide, un style très épuré qui rend la lecture très agréable. Si style est très clair, sa pensée l'est également, l'assimilation de ses réflexions ne demande aucun effort. Charles Juliet sait aussi manier l'autodérision quand il raconte avec quelle naïveté il est tombé dans une arnaque qui lui a fait vider une partie de son compte en banque par excès de compassion envers un faux vendeur de blousons soit-disant sans un sou. Un livre profond et passionnant, une lecture qui ressource et nourrit intelligemment.
Une très belle découverte, la rencontre avec un grand et bel homme dont j'ai envie maintenant de découvrir l'œuvre.
Ce titre fait partie de la sélection du Prix Essai
France-Télévisions 2018.
Citations
" Se laisser glisser du côté de l’ascèse. Ou basculer dans la direction opposée. Notre incessant combat."
" Si on ne se connaît pas, on ne peut connaître autrui. "
" L'écriture m'a été une permanente contrainte alors qu'elle m'a permis de conquérir ma liberté."
" Écrire, c'est creuser en soi, c'est fixer dans des mots notre lutte contre la fuite des jours, contre la fatalité de la mort, contre ce qui nous ronge, parfois nous terrifie."
" Écrire, ce fut pour moi un moyen de surmonter mon dégoût de la vie, de réparer ce qui avait été abîmé, puis d'entreprendre la lente pérégrination qui m'a conduit à naître à moi-même."
" Écrire, c'est mener un combat contre le temps et la mort. C'est œuvrer pour que subsiste la trace de ce que je vis."
" Parler clair. En employant les mots les plus simples, les plus quotidiens, parler-écrire pour apporter de la clarté, pour rejoindre ceux qui n'ont pas les mots, pour réduire leur solitude."
" Quand j'écris, je cherche à atteindre une certaine neutralité, je veille à toujours me placer sous "le regard d'en haut", un regard qui me permet de me surplomber, de porter sur moi un regard détaché et lucide."
" Nous n'avons pas à rejeter notre enfance, notre passé. L'une et l'autre sont constitutifs de notre identité. Ce qu'il faut, c'est les tenir à distance. N'en être plus encombré."
" Aimer et croire qu'on aime sont deux choses bien différentes. Aimer, c'est s'ouvrir à l'autre, l'accueillir au plus intime de soi, et c'est aussi se glisser en lui. Pour savourer ce qu'il est, ce qu'il vit, ce qu'il éprouve."
" L'auteur d'un livre aimé, il arrive qu'on tienne à lui autant qu'à un être de chair. Il participe à notre vie la plus intime et c'est souvent qu'on dialogue avec lui."
" Ces êtres qui traînent une souffrance dont ils ne savent rien. Incapables de comprendre ce qui les tourmente, privés de ressources intérieures, ils ne peuvent agir sur ce qui les ronge, et ils me bouleversent."
L'auteur
Après avoir lu ton article, je brûle de découvrir cet auteur!Merci!
RépondreSupprimerCela me ravit !
SupprimerIl m'a tellement chamboulée que j'ai commandé "Lambeaux" où il raconte son histoire familiale pour le lire très vite...