jeudi 19 janvier 2023

L'enfant rivière d'Isabelle Amonou

 



Date de parution :  janvier 2023 chez Dalva
Nombre de pages : 304

Gatineau au Canada en 2030.

Tout séparait Zoé et Thomas qui, adolescents, n'habitaient pourtant qu'à trois kms l'un de l'autre. Chez Zoé on parlait français, chez Thomas, anglais, ils étaient séparés par la langue mais aussi par la religion, la culture et la couleur de peau car Zoé était indienne par sa mère qui appartenait à un peuple autochtone, les Algonquins. Quand leur fils Nathan est né, ils se sont opposés dans leur vision de l'éducation de leur enfant, Zoé était incapable de mettre des limites à son fils, considérait que Thomas imaginait des dangers partout, qu'il avait hérité de l'anxiété de ses parents, c'était une femme qui avait toujours été étrange et inquiétante. Elevée au sein d'une famille également inquiétante avec un père violent et toxique, une mère dépressive et alcoolique, Zoé aimait flirter avec le danger. Une famille bizarre en qui Thomas n'avait nullement confiance pour veiller sur Nathan.

En 2030 Thomas qui vit désormais à Paris revient au Canada pour l'enterrement de son père. Il a quitté le Canada six ans plus tôt après la disparition de son fils Nathan, en mai 2024. Nathan allait avoir quatre ans, il était sous la surveillance de sa mère Zoé occupée à peindre la coque d'un bateau dans la marina construite par son père au bord de la rivière des Outaouais au milieu de laquelle passe la démarcation entre le Québec et l'Ontario. Malgré les recherches, on n'a jamais retrouvé le corps du petit garçon. Noyé ? Perdu ? Enlevé ? Le couple n'a pas survécu à ce drame, pour Thomas son fils a disparu à cause de la négligence de Zoé "ils n'avaient pas partagé leur souffrance, ils se l'étaient renvoyée." 

En 2030, au retour de Thomas à Montréal, Zoe vit seule entre la rivière qui déborde régulièrement et un camp de migrants. En effet, une guerre civile aux États-Unis a engendré des vagues de migrations avec des enfants perdus, des mineurs isolés par milliers. Zoé les capture dans les bois pour les livrer aux autorités. Un mur a été érigé entre le Canada et l'Alaska où les autorités projettent de cantonner les réfugiés des États-Unis. Tornades dévastatrices, tempêtes, inondations et canicule sont le quotidien du monde de cette époque.

Un texte très romanesque qui aborde de nombreux thèmes très forts. Histoire de la quête et du combat d'une mère pour qui son fils disparu à l'âge de 3 ans et demi ne peut pas être mort et se cache parmi les migrants, histoire d'un instinct maternel plus fort que tout, histoire de liens parents-enfants qui ont du mal à se construire à l'image de ceux entre Camille et Zoé. Comment Zoé pouvait-elle protéger son fils alors que sa propre mère ne l'avait jamais protégée et que son propre père l'avait ravagée ? 

Le lieu et l'époque sont des personnages à part entière. La forêt canadienne, le chalet au bord de la marina, une nature de toute beauté même si elle est hostile et dangereuse, même si elle subit d'affreux outrages. Un fond dystopique très noir et très réaliste qui dépeint un monde futur chaotique. Les personnages sont tous très bien incarnés, Thomas, un père qui tente de maitriser sa douleur et son remords, Zoé un personnage complexe et passionnant, Camille une femme bouleversante au destin poignant, Michel et Fred, amis fidèles, les hordes d'enfants sauvages, sans oublier Pamela et Kid... 

Le sort des enfants migrants déplacés en Alaska en 2030 résonne avec celui des enfants indiens arrachés à leurs parents et à leur réserve des décennies plus tôt pour être placés dans des pensionnats, comme cela a été le cas pour la mère de Zoé. Dans un objectif d'assimilation à la bonne société canadienne ils ont été contraints de renier leur culture. Une politique d'assimilation des indiens qui a causé des dommages irréversibles à la culture, à la langue et au patrimoine autochtones, les conséquences sur Camille sont très bien analysées par l'auteure, elle restera incapable de raconter, de témoigner autrement que par ses peintures et incapable d'établir une relation avec ses enfants. Ce lien entre le passé et un futur qui n'est pas si éloigné de notre présent est particulièrement saisissant. 

Une construction efficace, une ambiance très prenante, un suspense parfaitement entretenu et une fin qui ne m'a pas déçue. Un roman sombre qui contient des lueurs de lumière, d'espoir et d'humanité, il y a de la folie, de la sauvagerie dans ce roman mais aussi de l'amour, du pardon.

Une magnifique couverture qui reflète très bien l'histoire, la scission entre Zoé et Tom, la scission entre canadiens et peuples autochtones, la rivière scission entre le Québec et l'Ontario, la scission par la langue, la culture...

Un roman qui bouscule mais qu'il m'a été impossible de lâcher. Un roman aussi profond que puissant dont j'imagine aisément une adaptation cinématographique.


Citations

" J'ai regardé mon père, ma mère. Et tu sais quoi ? Je les haïssais. Je haïssais tout simplement mes propres parents, je détestais leur visage brun. Je les détestais parce qu'ils étaient Indiens. Ils étaient Indiens. Ils étaient sales. Ils parlaient une langue sale. Ils ne parlaient pas français. Et j'étais là, tu comprends, j'avais le goût du savon et du français dans la bouche, je venais de là mais je ne pouvais plus être là."


L'auteure 


Isabelle Amonou est née à Morlaix en 1966 et vit aujourd'hui à côté de Rennes. Depuis ses trente-cinq ans, elle écrit et a publié plusieurs romans noirs chez des éditeurs de Bretagne et des nouvelles dans différents ouvrages collectifs. "L'enfant rivière" est né suite à une résidence d'écriture faite à Gatineau, à la frontière entre le Québec et l'Ontario, région qui sert de cadre à ce roman. (Sources : éditeur)

Photo : Amanou©MaryanHarrington

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire