jeudi 12 janvier 2023

Le bureau d'éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant

 



Date de parution : 4 janvier 2023 chez Grasset
Nombre de pages : 416

" Renouer les fils tranchés par la guerre... Recoudre des fragments de vie effilochés "

A Bad Arolsen, au cœur de l'Allemagne, l'ITS, International Tracing Service, s'attache depuis l'après-guerre à déterminer le sort des victimes du régime nazi, à la demande de leurs proches. 

Irène, une française, a intégré ce service par hasard en 1990 à l'âge de vingt-trois ans, juste après son mariage avec un allemand. Mais est-ce vraiment le hasard qui l'a conduite dans ce lieu, ne répond-elle pas à un appel souterrain ?  Depuis, ce travail d'investigation est devenu toute sa vie, elle se laisse envahir par ses dossiers au grand dam de son fils qu'elle élève seule depuis son divorce.

A l'automne 2016, elle se voit confier une nouvelle mission : restituer les milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps de concentration. Il faut retrouver l'identité des déportés à qui appartenaient les objets et chercher leurs descendants pour les leur restituer.

Ce roman offre un équilibre parfait entre l'historique et le romanesque. Comme toujours avec Gaëlle Nohant, l'historique est très documenté avec des références historiques connues (insurrection du ghetto de Varsovie, les enfants volés, les messages jetés par la lucarne des wagons...) et d'autres moins connues ou oubliées (la révolte des femmes cobayes Ravensbrück, leur manifestation en béquilles devant le bureau de la Kommandantur, les archives secrètes enfouies sous terre dans le ghetto de Varsovie, et plus récemment, les marches noires pour soutenir le droit à l'avortement en Pologne, l'attentat sur le marché de Noël de Berlin en 2016...)

J'ai trouvé passionnante l'histoire du centre d'archives d'Arolsen, le plus grand centre d'archives sur la persécution nazie qui regroupe ce qu'il reste des archives des camps, ce qui a pu être sauvé au moment de la débâcle allemande, un trésor qui occupe plusieurs dizaines de kilomètres de linéaire. Tout cela a été réuni pour rechercher les disparus. J'ai beaucoup appris sur l'ITS, ses évolutions, ses dérives sous la direction d'un homme, la bataille de l'ouverture des fonds de l'ITS aux survivants et aux chercheurs avec la numérisation des objets et leur mise en accès libre. Gaëlle Nohant nous fait vivre avec ceux qui y travaillent, on admire leur engagement dans une mission qui devient leur raison de vivre, on devine leurs motivations et ce que ce travail induit dans leurs vies. 

Le sujet est grave et le roman comporte des scènes éprouvantes décrites avec réalisme mais sobriété, Gaëlle Nohant parvient avec parfois juste quelques mots à évoquer l'horreur " Les hommes étaient tués en premier. Les femmes et les enfants attendaient nus dehors. L'hiver, les pieds des petits gelaient. Les mères devaient les décoller du sol." 

Les trames romanesques sont nombreuses, prendre quelques notes tout au long de ma lecture m'a aidée à ne pas me perdre entre les différentes enquêtes que mène Irène. La jeune femme va enquêter sur un Pierrot, "énigme de tissu", sur le ventre duquel est inscrit le matricule d'un homme, elle va recevoir une lettre-confession d'une ancienne gardienne SS que son petit-fils a récupérée après sa mort, lettre accompagnée d'un médaillon de la Vierge, avec un visage d'enfant dessiné au crayon à l'intérieur, elle va trouver sur son chemin un mouchoir confectionné avec des chutes de tissu et brodé de nombreux prénoms. Elle va faire des recherches sur ces objets mais également partir sur les traces des secrets du passé d'Eva, la femme qui l'a recrutée et formée à l'ITS. Les recherches d'Irène vont la mener à Paris, Berlin, Varsovie, dans les camps de Ravensbrück et de Treblinka..., elle va recevoir des lettres d'Argentine, d'Israël...

Le travail d'archiviste consiste à restituer des objets à des descendants qui la plupart du temps n'ont rien demandé avec le risque de rouvrir des blessures, la jeune femme va parfois se heurter à la culpabilité enfouie, au déni d'allemands qui ne veulent pas affronter leur histoire. 

Les derniers chapitres sont sublimes et le chant d'Agata m'a arraché des larmes, ce qui est excessivement rare tellement je parviens à prendre de la distance avec mes lectures.

Un roman magistral sur le devoir de mémoire, un roman dense donc exigeant mais d'une narration très fluide avec des personnages très forts. Un roman essentiel qui fait le lien avec les nouvelles formes du fascisme et alerte sur la continuité de l'histoire.

Un roman brillant, intense et puissant pour Caroline. Quant à Ghislaine, elle salue l'immense labeur que l'auteure a fourni pour rendre hommage aux victimes et à ceux qui font tout pour que leurs traces ne s'effacent jamais. 


Citations

" Je ne suis jamais rentrée du camp. J'y suis toujours."

" Même si on ne répare personne, si l'on peut rendre à quelqu'un un peu de ce qui lui a été volé, sans bien savoir ce qu'on lui rend, rien n'est tout à fait perdu."


L'auteure


Gaëlle Nohant a publié quatre romans dont "La part des flammes" (éditions Héloïse d'Ormesson, 2015, prix France Bleu/Page des libraires et prix du Livre de Poche); un roman biographique sur Robert Desnos, "La légende du dormeur éveillé" (éditions Héloïse d'Ormesson, 2017, Prix des libraires), et "La femme révélée" (Grasset, 2020). (Source : éditeur)





Lus de cette auteure 











pour accéder à ma chronique, cliquer ici


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire