samedi 31 octobre 2015

La cache de Christophe Boltanski


 

Date de parution : août 2015 chez Stock
Nombre de pages : 344

Prix Fémina 2015

Une bien étrange tribu!
 
Christophe Boltanski, journaliste et grand reporter à l'Obs, s'est plongé dans ses souvenirs personnels et les anecdotes familiales pour reconstituer l'histoire de sa famille. Il est aussi parti en reportage auprès des membres de sa famille, il a également enquêté à Odessa que ses arrière-grands parents paternels ont fui.
On découvre une drôle de tribu nichée dans un hôtel particulier parisien. Il en ressort une formidable saga familiale.

Il dit avoir voulu comprendre d'où il vient, y voir clair dans son "bric-à-brac identitaire", avoir voulu lutter contre l'oubli.
Il retrace l'histoire d'une famille mais aussi d'une maison. Pour cela, il articule son récit autour des différentes parties de la maison bourgeoise de ses grands parents, un hôtel particulier rue de Grenelle. Des plans sont insérés avant chaque partie pour visualiser les lieux  sobrement nommés "cuisine", "escalier"... Dès les premières pages, l’originalité est au rendez-vous puisque la voiture des grands-parents, une Fiat 500, est considérée comme une extension de leur logement.

Ce livre est une  sorte de puzzle, le récit sans ordre chronologique, centré sur sa grand-mère paternelle nous fait parfois nous perdre entre les personnages de différentes générations mais j'ai aimé sa construction très originale.

C'est une famille pleine de mystères avec des personnages hauts en couleur. 
Le personnage central, Marie-Elise, la grand-mère paternelle de l'auteur, Mère-Grand, est écrivain, c'est le 7ème enfant d'une famille bourgeoise désargentée, confiée par ses parents à une marraine, Myriam. Myriam est une  romancière dont la foi catholique vire à la bigoterie, elle la renomme Myriam comme elle et en fera son unique héritière provoquant une scission avec sa famille naturelle qui l'envie alors qu'elle éprouve de la colère envers eux pour l'avoir abandonnée.

Atteinte de la polio à l'âge adulte, elle refuse de se voir comme une handicapée, rejette aide et pitié et règne en matriarche dans son hôtel particulier. 
Sous l'occupation, elle commence à écrire des textes la plupart du temps autobiographiques puis des "récits vérité sur des exclus, des oubliés comme elle".

Le grand-père est un médecin qui déteste le sang. Juif, il se convertit au catholicisme dans une volonté d'assimilation. Pendant la seconde guerre mondiale il simule sa fuite et reste caché 20 mois dans "l'entre-deux" de la maison, dans une minuscule cachette où il est contraint d'adopter une position agenouillée ou couché en chien de fusil; d’où le titre du roman qui évoque cet épisode. 

On croise aussi son oncle Christian, célèbre plasticien travaillant des boules de pâte à modeler, son père Luc, sociologue célèbre.

Une famille originale où l'on se déplace en tribu, "elle ne se déplaçait qu’entourée des siens, "mes enfants sont mes cannes disait-elle". L'objectif de Mére-Grand est de garder ses enfants auprès d'elle (trois fils et une fille), elle vit le départ de son fils Luc comme une trahison. Ils vivent dans  un microcosme, soudés, sans pour autant être fermés à toute vie sociale. Leur mode de fonctionnement surprend  mais Christophe Boltanski raconte sans jamais juger.

J'ai tout aimé dans ce livre... L'histoire fascinante de cette famille d'artistes, de sociologues et de romanciers, l'écriture claire, la construction très originale, la nostalgie qui en émane...
Les grands-parents sont très attachants, leurs parcours retracés avec précision.
Ce récit est passionnant du début à la fin, il se dévore.
Ce premier roman de Christophe Boltanski est un magnifique hommage à ses grands-parents, c'est incontestablement une belle réussite.



Citations
"Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la petite comme de la grande histoire. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. De la réversibilité de l'homme et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr. Cette appréhension, ma famille me l'a transmise très tôt, presque à la naissance"

"Les enfants m'adoraient. Nous ne nous quittions pas une seconde, ils buvaient seulement la vie que je filtrais pour eux"

"En tout, elle présentait un double visage. A la fois propriétaire terrienne et communiste encartée, exclue et élue, adoptée et dotée, Mère-Grand et Grand Méchant Loup, handicapée et globe-trotteuse, impotente et omnipotente."  


L'auteur

Christophe Boltanski est né en 1962.
Entré en 1989 au journal Libération, il fut correspondant pendant presque dix ans pour le journal, d'abord à Jérusalem puis à Londres.
Il co-dirige ensuite le service étranger du journal jusqu'en 2007, avant de rejoindre Le Nouvel Observateur.
Il gagne en 2010 le prestigieux Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre pour un reportage sur une mine au Congo : Les mineurs de l'enfer.





17ème contribution au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015

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