Date de parution : 27 aout 2020 chez Sabine Wespieser
Nombre de pages : 240
Le récit commence en 1983 à Beyrouth, dans un pays en guerre civile depuis onze ans. La narratrice, qui est née au Liban six ans plus tôt, attend avec les autres élèves rassemblés dans la cour de l'école que leurs parents viennent les chercher. Encore une fois les bombardements se sont intensifiés et il faut évacuer l'école. Au milieu des autres enfants, elle est la seule à ne pas pleurer trop heureuse de quitter l'école où elle se sent très seule et de retrouver son père, "son géant", son héros. La main cramponnée au petit doigt de son père, elle s'enfuit certaine qu'il ne peut rien lui arriver. Son père est un intellectuel, un poète qui s'emploie à être un roc, à cacher son angoisse en faisant semblant que tout va bien et en sortant des blagues pour la faire rire.
L'enfant est elle aussi habituée à faire semblant de ne pas avoir peur, à tout verrouiller en elle, en premier lieu la boule qui ne quitte pas sa gorge. Elle veut aussi protéger son petit frère en ne montrant rien de ses peurs. La famille est sans cesse contrainte de fuir précipitamment en emportant seulement les valises et le
gros sac de soldats en plastique de son frère, laissant toutes leurs
affaires derrière eux, les jouets des enfants et les plantes que la petite fille aime tant... Ils vivent ainsi de maison en maison qui ne sont pas leurs véritables maisons. Parfois la petite fille ne peut pas cacher ses crises d'angoisse quand elle se retrouve dans l'impossibilité de respirer...
L'année des douze ans de la petite fille, la famille s'exile à Paris en laissant le père derrière eux. Ils échangeront des lettres, se reverront occasionnellement...
C'est son histoire que raconte ici Dima Abdallah. La voix de la petite fille et celle qu'elle prête à son père alternent de chapitre en chapitre. Elle explore sa relation avec son père, la communication impossible entre eux deux, enfermés dans le silence, incapables de se parler de leurs émotions, de se dire ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent "Je
suis un spécialiste des banalités, des généralités et des lieux
communs. Je suis un expert dans l'art de la fuite. Je ne suis bon qu'à
lui dire que je pense à elle". La guerre est bien entendu présente dans ce texte, mais seulement en toile de fond car ce roman est essentiellement une histoire d'amour entre une fille et son père. La mère et le frère sont peu évoqués, ils sont juste à la périphérie de cette histoire. C'est une petite fille qui cache sa tristesse et ses angoisses à son père
pour l'épargner, ne le sentant peut-être pas assez fort pour les
entendre. C'est un père qui livre bataille en écrivant, seule façon de
résister à l'absurde "C'est mon combat, c'est ma guerre à moi.... Écrire l'absurde pour tuer l'absurde". Il y a des
moments forts tout au long du livre mais je retiens tout
particulièrement l'image magnifique de la main de la narratrice
cramponnée au doigt de son père, les images de son départ du Liban. Père et fille se retrouvent sur le sujet de la botanique, un sujet
de discussion pour éviter de parler du reste... prendre soin des fleurs et des plantes devient leur passion commune et le fil conducteur de ce texte. "Il ne sait pas lui. Je ne peux pas
lui dire. Il ne sait pas ce que c’est pour moi, des les entendre crier
et des les abandonner, lui, la marjolaine, le jasmin et le rosier". Tous deux trouvent l'écriture comme porte de sortie, ce sera la poésie pour eux deux.
Tous deux se sentent inadaptés au monde qui les entoure, ce sont des "mauvaises herbes" qui s'acharnent à pousser dans l'improbable. Ce roman parle aussi d'inadaptation au monde, d'exil qui est avant tout intérieur, d'enracinement impossible à force d'avoir passé sa vie à fuir, " Peut-être qu'à force, de nomade, on devient déraciné... Peut-être que le sentiment d'être de nulle part reste à tout jamais."
Tous deux se sentent inadaptés au monde qui les entoure, ce sont des "mauvaises herbes" qui s'acharnent à pousser dans l'improbable. Ce roman parle aussi d'inadaptation au monde, d'exil qui est avant tout intérieur, d'enracinement impossible à force d'avoir passé sa vie à fuir, " Peut-être qu'à force, de nomade, on devient déraciné... Peut-être que le sentiment d'être de nulle part reste à tout jamais."
J'ai adoré l'écriture éminemment poétique, la douce musicalité des mots, des phrases pour marteler des propos très percutants. C'est une histoire très forte souvent dure mais éclairée par l'amour que se portent le père et la fille. Un magnifique premier roman.
Citations
" La poésie, c'est peut-être ce qu'on écrit quand on n'arrive pas à pleurer comme les autres."
" La misère, ce n'est pas ne rien avoir, c'est n'avoir personne."
" Partir est le meilleur moyen pour ne plus rien avoir à perdre."
" Les enfants sont des petits vieux, avec leurs habitudes et leurs angoisses."
L'auteure
" La misère, ce n'est pas ne rien avoir, c'est n'avoir personne."
" Partir est le meilleur moyen pour ne plus rien avoir à perdre."
" Partir, ça aide à éradiquer les mauvais souvenirs. Chaque lieu a ses cauchemars à lui, qui restent emprisonnés dans les murs quand on s'en va."
" Planter, c'est la raison même de la sédentarité. Planter, c'est s'installer."
" Les enfants sont des petits vieux, avec leurs habitudes et leurs angoisses."
" Même quand on veut tout oublier, il reste les corps à compter."
" La poésie, les mots, c'est ce qu'on a trouvé pour injecter un peu de sens dans le chaos."
L'auteure
Née au Liban en 1977, Dima Abdallah vit à Paris depuis 1989. Après des
études d’archéologie, elle s’est spécialisée dans l’antiquité tardive. Mauvaises Herbes est son premier roman. (Source : éditeur)
Il a l'air très beau, je le note
RépondreSupprimerIl est très beau et je déplore qu'on en parle si peu...
SupprimerJe l'ai noté, ton commentaire me plait
RépondreSupprimerBonne lecture alors !
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