Date de parution : janvier 2024 chez J.C. Lattès
Nombre de pages : 192
" A qui appartient l'histoire ? "
Début 2020, Virginie Linhart s'apprête à publier "L'effet maternel". Quelques semaines avant la parution de ce roman, elle reçoit un message de son éditrice : Flammarion a reçu une mise en demeure, la mère de Virginie Linhart et E., son ex compagnon qui l'a abandonnée à l'annonce de sa grossesse vingt ans plus tôt, exigent que le manuscrit de L'effet maternel leur soit envoyé. Ils veulent faire supprimer l'ensemble des passages les impliquant, soit un tiers du texte enlevant ainsi tout sa substance au récit. Le jugement doit être rendu le 30 janvier alors que la parution de L'effet maternel est prévue pour le 5 février.
Dans "L'effet maternel" Virginie Linhart avait fait un portrait certes réaliste de sa mère mais un portrait plein d'amour et d'admiration pour elle et elle avait pris soin de rendre E. complétement anonyme. L'engagement politique de sa mère était connu et public, sa liberté sexuelle brandie comme un étendard. Virginie avait éprouvé le besoin d'écrire ce livre pour démêler son lien avec sa mère, pour réfléchir à l'emprise étrange de sa mère sur elle et pour l'inscrire dans un récit plus large et générationnel sur la transmission et la relation mère-fille. C'était un livre qu'elle avait également écrit pour sa fille.
Récit d'un procès littéraire, ce livre raconte les interrogations qu'il a fait naître chez l'auteure. Etre attaquée par sa mère et son ex-compagnon, père de sa fille aînée, n'est pas banal. Voir se liguer contre soi, ces deux personnes qui, depuis plus de vingt ans, sont restés en contact malgré le comportement de E., voir sa mère prendre le parti d'E., voir l'amitié persister entre eux, se retrouver face à leur alliance est une d'une grande violence.
Dans "L'effet maternel" Virginie Linhart décrivait une famille construite sur le non-dit, sur le silence, elle dévoilait des parents qui avaient vécu une liberté revendiquée aux dépens de leurs enfants, elle détaillait son enfance politisée, son enfance où la sexualité était omniprésente où elle a été mêlée trop jeune à l'intimité de sa mère avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer sur ses débuts de vie d'adulte. Elle racontait la violence ressentie, ce n'était pas un livre écrit pour régler des comptes, pour dénoncer ou blesser, elle s'était abstenue de fournir des révélations gratuites sur son entourage " C'est l'absence de récit qui tue la famille... Si je n'avais pas ni pu ni su écrire, si j'avais été obligée de faire l'impasse sur ce que j'avais vécu dans mon enfance et dans mon adolescence, je ne serais jamais parvenue à fonder une famille. Et sans doute n'aurais-je pas non plus réussi à me construire en tant que femme"
Confrontée au procès, elle réfléchit à ce qui l'a animée lorsqu'elle a écrit "L'effet maternel". Dans un texte mêlant les destins individuelles à l'histoire collective, elle avait montré comment la libération des femmes dans la décennie 70 répondait à l'asservissement de leurs propres mères écrasées par le patriarcat en vigueur dans les années 50-60." Ecrire, ce n'est pas seulement se raconter soi, c'est aussi tenter de mieux comprendre l'histoire. Ancrer la singularité d'une trajectoire dans une époque, des mœurs, un milieu, c'est évoquer ce qu'elle peut avoir comme résonance pour d'autres, nés au cours de la même période, dans le monde de l'extrême gauche révolutionnaire." Sa mère était une figure générationnelle et non privée, c'est bien ainsi que j'avais compris "L'effet maternel" et c'est aussi pour cette raison que j'avais beaucoup aimé ce texte lu à sa sortie en 2020.
"L'effet maternel" était donc un livre pour l'auteure, pour sa fille, pour ses pairs... Un livre pour "combler les silences... raconter ce qui n'a pas pu être dit... Ce que j'ai cherché dans l'écriture, ce n'est ni la vérité ni la réparation, encore moins la vengeance. Ce que j'ai voulu mettre en mots, c'est ce que j'ai traversé, ressenti et compris." et non pas un livre contre sa mère et son ex.
Une sale affaire décortique la mécanique judiciaire, nous confronte à une sorte de tragédie grecque, et nous propose une réflexion intéressante sur l'écriture autobiographique, sur la liberté de création, sur le droit des enfants de la génération 68 à documenter leur enfance.
Citation
" Je l'écris parce que c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour me construire. Je l'écris parce que c'est une partie de moi. C'est notre histoire - à elle, comme à moi."
L'auteure
Photo : Pascal Ito Flammarion
Lu de cette auteur
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