samedi 10 mars 2018

Une longue impatience de Gaëlle Josse


Date de parution : janvier 2018 aux Éditions Noir Sur Blanc
Nombre de pages : 192

"Comme la vie est lente et comme l'Espérance est violente" Apollinaire - Le pont Mirabeau

Quand on me demande quels sont mes auteurs préférés le nom de Gaëlle Josse vient rapidement dans ma liste. Découverte avec Le dernier gardien d'Ellis Island  je ne l'ai plus quittée depuis et ses romans suivants L'ombre de nos nuits, et  Un été à quatre mains m'ont enthousiasmée. J'aime les thèmes qu'elle aborde et surtout son écriture sensible et poétique, je n'aborde jamais un livre de Gaëlle sans un bon paquet de post-it... J'ai eu la chance de la rencontrer, je la suis sur les réseaux sociaux et j'apprécie autant la femme qu'elle est que l'auteure. J'ai lu "Une longue impatience" deux fois et ai mis des semaines à rédiger ma chronique car trouver les mots pour parler d'un tel livre ne m'était pas simple.

L'histoire se déroule dans un petit village breton et commence en 1950 dans la période si particulière de l'après guerre. Anne, la narratrice, est confrontée au départ brutal de Louis, son fils de seize ans, sans un mot d'explication après une terrible dispute avec son beau-père Étienne Quémeneur qui ne supportait plus "ce témoin encombrant d'une autre vie" depuis la naissance des deux jeunes enfants du couple. " Il a décidé de partir en me laissant l'absence et le silence pour seul souvenir." A force de violence physique et verbale, Louis s'est senti indésirable alors que sa mère était écartelée entre son fils et son mari, reconnaissante envers Étienne de l'avoir sortie de la misère alors qu'elle se battait pour survivre seule avec son fils après la disparition en mer de son mari.

Ce remariage avec le riche Étienne Quémeneur, pharmacien, a propulsé Anne, pauvre veuve d'un pêcheur, dans un autre monde. Elle vit dans une grande et belle maison qu'elle n'a jamais pu considérer comme la sienne, dans un village où les ragots vont bon train, où elle est jalousée pour son ascension sociale. "Je sens cette jalousie, cette acidité envers ceux qui ont échappé à leur condition".

Depuis le départ de Louis, Anne attend son fils avec pour seuls objectifs de ne pas perdre pied, résister à l'attraction des eaux tourbillonnantes du Trou du diable. Chaque jour elle monte sur la corniche au bout du sentier face à l'océan et guette les bateaux à l'horizon, car elle a appris qu'il a réussi à embarquer sur un cargo. Seule sur son avancée rocheuse au bord de la falaise elle guette... Tous les jours elle trouve ensuite refuge dans la petite maison de pêcheur aux volets bleus où elle vivait avec Louis et son père. Sa vie se résume à ce chemin, aux deux maisons et à l'obsession de tenir debout pour sa famille en accomplissant les gestes du quotidien.

" Son absence est ma seule certitude, c'est un vide, 
un creux sur lequel il faudrait s'appuyer, mais c'est impossible, 
on ne peut que sombrer, dans un creux, dans un vide."

Le roman raconte cette attente, les souvenirs que se remémore Anne et les lettres qu'elle écrit à son fils pour lui décrire le festin qu'elle prévoit pour son retour, un festin tout en couleurs et en odeurs de la Bretagne. Le tout se déroule sur une durée qui n'est pas précisée mais les saisons et les années défilent...

Gaëlle Josse a fait le choix de centrer son récit sur les sentiments d'Anne, son mari qui "l'a sauvée et détruite" reste à la périphérie du récit avec son silence, son remords et son impuissance. Les deux jeunes enfants du couple grandissent dans l'absence de Louis alors que les villageois "aux vies étriquées et aux regards envieux" observent derrière leurs rideaux.

Gaëlle Josse restitue à merveille l'atmosphère de la Bretagne qu'elle semble bien connaitre. La rigueur des éléments, le vent, les marées, la rude vie des pêcheurs, l'angoisse des femmes de pêcheurs, l'océan et son lot de malheurs, les chapelles et calvaires en granit, les mouettes, les hortensias, camélias, genêts et bruyère de la lande... Tout y est... 

Gaëlle Josse a brossé un portrait d'une mère inoubliable "torturée par l'absence, par l'attente, par le silence, par l'inquiétude, par le remords" et a eu la très belle idée de ponctuer son attente par de magnifiques lettres adressées à Louis. Dans ce roman, chaque mot, chaque phrase sonnent juste pour retranscrire les ressentis d'Anne et son amour maternel. Le poids des différences sociales, la question des familles recomposées, la culpabilité, la dette, l'amour et le pardon sont également présents dans ce récit empreint d'une douce mélancolie qui se termine d'une façon bouleversante.
J'ai vécu la lecture de ce roman tout en délicatesse et sensibilité comme un pur moment de grâce.


Citations
" C'est le temps des mots secrets, ceux qui permettent de dénouer la journée, de la reposer dans ses plis avant de la laisser s'enfuir, se dissoudre, c'est le temps d'apprivoiser la nuit, c'est le temps des mots sans lesquels le sommeil ne viendrait pas"

" Je me fabrique toute une collection de bonheurs dans lesquels je puise pour me consoler, comme un herbier de moments heureux."

" Peut-être ne trouve-t-il rien en moi, rien qui se réduise à des défauts ou des qualités,  mais seulement l'amour, l'inexplicable tremblement pour une inexplicable lueur. Ce que moi aussi j'ai trouvé en lui."

" Aimer c'est aussi aider l'autre à porter le poids qui l'empêche de vivre."

" Depuis, Louis avance dans une zone incertaine, entre le rejet et l'espoir, entre la défiance et une terrible envie d'être aimé. Comme nous tous."

" L'un et l'autre ont tenté de s'apprivoiser, dans une envie de séduction, d'adoption mutuelle."

" Il est plus terrible de se voir retirer une affection pleine de promesses que de ne l'avoir jamais connue."

" Seize ans, à vif. Le temps de tous les tourments, des désordres, des élans, des questions, des violences contenues qu'un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n'attendent qu'une main aimante."


L'auteure

Gaëlle Josse est née en 1960. Après des études de droit, de journalisme, de psychologie et quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille à Paris comme rédactrice dans un magazine. Elle anime également des formations d'adultes autour de l'expression écrite et orale ainsi que des rencontres autour de l'écoute d'œuvres musicales et des ateliers d'écriture auprès d'enfants et d'adultes.
Son premier roman, "Les heures silencieuses", est paru en janvier 2010. Suivront "Nos vies désaccordées" et " Noces de neige".
En 2015, elle est finaliste du Prix des libraires et lauréate du Prix de littérature de l'Union Européenne, du Prix de l'Académie de Bretagne et de nombreux prix de médiathèques pour son roman "Le dernier gardien d'Ellis Island". "Une longue impatience" est son sixième roman.


18ème participation au challenge rentrée littéraire 2018 organisé par Bea Comete



18 commentaires:

  1. Je n'ai le temps de rien en ce moment mais quand j'ai lu ta chronique hier dans la soirée, j'ai décidé d 'arrêter séance tenante tout ce que je faisais (copies, ménage...) et j'ai lu "Une longue impatience" d 'une traite.J'ai été bouleversée par ce roman magnifique.Alors merci à toi pour cette parenthèse qui m'a fait un bien fou. Comme toi, j'adore cette auteure dont j'ai presque tout lu et j'attends chacune des publications de ses romans.À bientôt.

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    1. Et bien Karine tu as vraiment bien fait de tout lâcher pour t'offrir cette belle parenthèse. Je suis ravie qu'elle t'ait permis de te ressourcer...
      Bon courage pour tout et vivement les vacances...

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  2. Je crois que ce soir, je vais faire la même chose que Karine...

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    1. Excellente idée!
      C'est l'assurance d'une belle soirée...

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  3. Bon, je vais peut-être finir par tenter cette lecture. Si j'avais beaucoup aimé Le dernier gardien, j'avoue avoir été beaucoup moins séduite par l'ombre de nos nuits : une écriture dont je reconnais la qualité mais qui ne m'a pas touchée.

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    1. Tente le coup car au-delà de l'écriture, l'histoire est magnifique. Hâte de savoir si ce livre te fera changer d'avis sur cette auteure !

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  4. Tu en parles si bien. J'ai adoré ce livre

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    1. Merci beaucoup Colette pourtant cela ne m'a pas été facile de traduire tout ce que ce roman m'a fait ressentir...

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  5. J'en suis à la moitié et j'adore, je trouve l'écriture absolument sublime ...

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    1. Je ne connais personne qui n'ait succombé à ce livre, à cette écriture...

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  6. J'ai succombé aussi, je viens de le terminer et j'ai adoré l'histoire, l'écriture et la Bretagne si bien décrite! Sa délicatesse et sa sensibilité. Mon mari aussi a succombé !!!!!
    Encore merci pour tes choix et tes chroniques. Je me régale au sein des 68 où je découvre des petites perles.

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    1. Merci pour ce petit mot Joëlle.
      Ce roman est une pure merveille...Je suis ravie que la sélection des 68 te plaise, tu vas faire de belles découvertes...

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  7. Merci de ta participation! Ce roman m’attend, moi qui n’ai jamais lu Gaëlle Josse! Une Comète

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    1. Ce roman me semble parfait pour découvrir cette auteure. Belle lecture !

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