jeudi 12 septembre 2019

A crier dans les ruines d'Alexandra Koszelyk

Date de parution : août 2019 Aux Forges de Vulcain
Nombre de pages : 254 

Avril 2006. Lena, une jeune femme ukrainienne de trente-trois ans, qui vit depuis 20 ans en France se rend dans sa ville natale, la ville fantôme de Pripyat. Avec un groupe de touristes elle suit les pas d'une guide vigilante aux dangers encourus. Tous sont équipés de dosimètres. Nous sommes dans une ville qui avait été créée de toutes pièces pour loger les employés de la Centrale à dix kilomètres de Tchernobyl.

Sans qu'aucune explication ne lui ait été donnée, Léna a dû fuir son pays avec sa famille le surlendemain du 26 avril 1986 laissant derrière elle Ivan, son ami dont elle était inséparable. Les deux jeunes de treize ans étaient issus de deux mondes opposés. Le père d'Ivan était un paysan qui avait foi en la nature, les parents de Léna étaient des communistes convaincus, son père travaillait comme ingénieur à la Centrale.

Ce roman retrace le destin de ces deux jeunes reliés par une magnifique histoire d'amitié puis d'amour. Léna, déchirée d'être séparée d'Ivan, refuse de croire son père qui lui affirme qu'il ne peut qu'être mort et vit les douleurs de l'exil dans un monde d'occidentales privilégiées. Une distance se creuse entre elle et ses parents qui veulent tirer un trait sur l'Ukraine, ce rejet de leur origine est inacceptable pour Léna, ses parents deviennent des étrangers pour elle. Dans les jours qui suivent la catastrophe, Ivan écrit à son amie alors qu'il est déplacé avec sa famille dans un camp près de Kiev. Ce sont d'émouvantes lettres qu'il garde dans une boîte pour les donner à la jeune fille à son retour, les années suivantes il lui écrira chaque 26 avril.

L'auteure sait nous immerger de façon saisissante dans un pays, dans un contexte historique, dans une atmosphère d'après catastrophe dans une ville devenue "un tombeau à ciel ouvert". Elle nous met face à la folie des hommes qui sacrifient la nature et les hommes et qui ne seront même pas capables de tirer de leçon de la catastrophe qu'ils auront provoquée. Les personnages sont tous magnifiquement incarnés. Léna qui vit avec le fantôme d'Ivan, Ivan qui vit dans l'attente du retour de Léna, rempli d'espoir puis de déception et de colère, sans oublier le très émouvant Pavel. Ce sont tous des personnages que j'ai quittés à regret.
J'ai aimé l'idée que l'appropriation d'un pays passe par la découverte de ses légendes comme le fait Léna, l'idée que l'identité se loge dans les histoires de son pays, l'idée que les mythes et les contes constituent nos fondations, l'idée que les lectures peuvent nourrir, Léna "lit comme on respire. Par soif, par nécessité." L’auteure explore la douleur de perdre ses origines, montre la nécessité de savoir d'où l'on vient pour décider de son avenir. L'émotion va crescendo avec la poignante confession de la grand mère de Léna, le retour de la jeune femme dans le décor post apocalyptique de sa ville natale et l'histoire d'Ivan, d'une génération, d'une patrie entière brisées. Mais ce roman élargit le propos en reliant Tchernobyl à la chute du mur de Berlin, au rêve de l'Ouest et parle aussi de fatalité familiale, du poids des traumatismes familiaux qui éclairent le lent cheminement de Léna. 
Une économie de mots pour dire l'indicible, une écriture joliment poétique, parsemée de symboles que l'auteure manie avec subtilité. Ce roman engagé doté d'un magnifique titre qui fait référence à "Poème à crier dans les ruines" d'Aragon m'a fait passer de l'émotion à la révolte. Un roman qui fait écho au bouleversant livre de Svetlana Alexievitch La supplication.


Citation
" La peur du nucléaire est un luxe pour des pays riches."


L'auteure



Alexandra Koszelyk est née en 1976. Elle enseigne, en collège, le français, le latin et le grec ancien.















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