mercredi 19 août 2020

Un crime sans importance d'Irène Frain

Date de parution : 20 aout 2020  au Seuil
Nombre de pages : 256 

" Cette mort ne peut pas rester sans voix. "

Un samedi de fin d'été, en pleine journée, dans une banlieue ordinaire assez tranquille où le taux de délinquance n'est pas particulièrement élevé, une femme de soixante dix-neuf ans est assassinée chez elle. Elle vivait seule dans un modeste pavillon au fond d'une impasse à la lisière d'un bois et à proximité d'un "quartier sensible". Sauvagement agressée, laissée pour morte, elle décédera après quelques semaines de coma. C'était une femme discrète, secrète voire énigmatique, elle s'appelait Denise, c'était la sœur aînée de l'auteure. Une sœur dont elle a été très proche avant que leurs liens ne finissent pas se rompre. Irène Frain a commencé ce récit quatorze mois après les faits quand le silence lui est devenu insupportable.

Irène Frain a ressenti l'impérieux besoin de savoir ce qui s'est passé, de comprendre comment sa sœur Denise avait pu se retrouver ainsi au mauvais endroit au mauvais moment. Déjà confrontée au silence que lui oppose sa famille, elle va se retrouver face au silence de la presse, de la police et de la justice dans une affaire où le policier qui a fait les investigations n'a toujours pas rendu son rapport quatorze mois après les faits empêchant la nomination d'un juge d'instruction. Oppressée par ce silence, la colère prend alors le pas sur l'accablement, et Irène Frain décide de livrer sa propre enquête et de consulter un avocat.

J'ai aimé la façon dont Irène Frain introduit son récit en ne présentant la victime comme sa sœur qu'à la page 60, j'ai aimé la distance qu'elle prend dans ce début de récit puis lorsqu'elle relit les carnets qu'elle a tenus juste après le drame. J'ai apprécié la construction du récit où alternent des faits précis, des souvenirs et des échanges avec un homme de loi imaginaire.
Ce fait-divers tragique est l'occasion pour elle de revenir sur son histoire familiale qu'elle dit avoir évoquée dans d'autres livres. Je n'ai lu que peu de romans d'Irène Frain et j'ai découvert ici une partie de son histoire au sein d'une famille où le silence a toujours recouvert les douleurs familiales. " On m'a emmurée dans le silence ". Irène Frain souligne le rôle essentiel que Denise, sa "fée-marraine", la reine de sa famille, a eu dans son enfance et la façon dont elle l'a éveillée à la culture. Elle revient aussi sur l'origine de leur éloignement dans des passages particulièrement émouvants. 
Au delà de l'histoire intime d'Irène Frain, ce récit a une forte dimension sociale. J'ai été révoltée par l'indifférence qui peut entourer le meurtre d'une vieille dame, d'une invisible dans une banlieue et dans une société que l'auteure dépeint de façon implacable. Le double silence auquel Irène Frain est confrontée, familial et judiciaire est particulièrement impressionnant. Irène Frain  nous fait vivre son combat de façon très forte, ce récit d'une incontestable qualité littéraire est très prenant et très émouvant, on comprend la rage et l'impuissance de l'auteure face à l'inertie de l'appareil judiciaire et on ne peut que partager sa colère et sa crainte que le dossier ne soit classé. J'imagine le désarroi des familles qui n'ont pas la notoriété d'Irène Frain et qui, confrontées à une telle situation, n'ont pas les mêmes armes qu'elle. Ce récit à la fois intime et social est également un très bel hommage de l'auteure à sa sœur qui ne peut pas laisser indifférent. 


Citation
" Je dois aux livres ma victoire contre le silence. Ce sont des passeports. Ils abattent les murs, les remparts, les frontières, toutes les barrières que les humains ont inventé pour s'ignorer, se déchirer."


L'auteure

Irène Frain est écrivain. Parmi ses romans les plus connus, citons : Le Nabab (Lattès, 1982), Secret de famille (Lattès, 1989), Devi (Fayard, 1993), L'Homme fatal (Fayard, 1995), Les Naufragés de l'île Tromelin (Michel Lafon, 2009).
Le Seuil a publié d'elle deux récits autobiographiques : Sorti de rien (2013) et La Fille à histoires (2017), ainsi qu'un récit biographique : Marie Curie prend un amant (2015). (Sources : éditeur)




Lu de cette auteure



2 commentaires:

  1. Un crime sans importance sauf pour la famille qui ne réagit pas de la même façon, les uns essaient de tourner la page, les autres voudraient que justice soit faite, cela dépend sans doute de la relation vécue avec la personne massacrée.

    Hélas, la violence augmente et beaucoup de crimes deviennent sans importance,même ce récit peut devenir un livre sans importance sauf pour l'auteure.

    Chantal.

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    1. Je pense que c'est important à la fois pour l'auteure mais aussi pour la victime qu'on parle de ce genre de crime tombé trop vite dans l'oubli.

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