jeudi 15 février 2018

L'amour après de Marceline Loridan-Ivens avec Judith Perrignon



 
Date de parution : janvier 2018 chez Grasset
Nombre de pages : 162

Alors qu'elle vient de perdre partiellement la vue lors d'un séjour à Jérusalem, Marceline Loridan-Ivens, 89 ans, se plonge dans ses souvenirs en fouillant dans une valise délaissée (sa "valise d'amour") dans laquelle elle retrouve des programmes de spectacle et des articles de presse jaunis, des brouillons de lettres qu'elle n'a jamais envoyées, des lettres qu'elle a reçues de différents hommes, de son mari et d'amies qui forment une sorte de chœur de femmes.

Elle se définit comme une fille de Birkenau où elle a été déportée avec son père alors qu'elle n'avait que quinze ans, c'est dans ce camp qu'elle a rencontré Simone Veil. A sa libération, il lui a fallu ensuite survivre seule, vivre comme une survivante qui a perdu son innocence et qui trimballe son enfer avec elle avec son numéro tatoué sur le bras "tous les jours qui passent ne sont pas la vie, mais du rabe qu'on lui a laissé et qu'elle n'a pas le droit de gâcher", surmonter la mort de son père, résister à l'envie de mourir et supporter la folie suicidaire d'une partie de sa famille.

Déportée à quinze ans sans avoir jamais connu l'amour, "J'ai tout vu de la mort sans rien connaitre de l'amour", " j'étais un très jeune bourgeon que la guerre avait gelé sur pied. Et pour longtemps.", de retour du camp, elle cherche l'amour d'abord parmi les survivants qui forment son entourage proche, s'oppose à sa mère qui voudrait la voir reprendre immédiatement une vie normale et n'imagine comme seul avenir pour elle que mariage et enfants, alors qu'elle a besoin  qu'on lui laisse du temps. Assoiffée de liberté, elle s'amuse dans les bars et dans les soirées à St-Germain-des-Prés et rejette les conventions "il n'y eut, après les camps, plus aucun donneur d'ordres dans ma vie". Arrachée de l'école à quinze ans, c'est aussi un énorme désir d'apprendre qui l'anime, une énorme soif de culture "je préférais me pencher sur ce que je n'avais pas appris que sur ce que j'avais vécu", ainsi elle établit des listes de livres à lire pour combler son retard.

Elle évoque ses premières expériences sexuelles où elle ne ressent rien dans l'impossibilité qu'elle est de s'abandonner, submergée par la peur de se laisser aller et qualifie son corps de "sec et raide". Avec ses amies elle vit les débuts de la révolution sexuelle, l'avortement et les premiers combats féministes qui flamberont quelques années plus tard. Elle raconte son mariage avec Francis qu'elle qualifie d'épistolaire tellement ils ont peu partagé de mois de vie commune en cinq ans d'union puis l'histoire de son grand amour avec Joris Ivens. 

Après avoir découvert le genre humain sous son pire aspect alors qu'elle n'était qu'adolescente, alors qu'elle n'avait connu que très peu de choses de la vie, Marceline Loridan-Ivens a choisi de laisser l'ombre de la guerre derrière elle, sans rien oublier, sans rien renier, pour VIVRE. J'ai aimé la distance avec laquelle elle se penche sur son passé, sur les conséquences qu'a eu sa déportation sur sa future sexualité, sur son rapport à son propre corps, sur les formes qu'a pris l'amour après les camps où elle avait connu violence et domination. J'ai aimé la détermination de cette femme qui n'a jamais voulu se contenter du destin que lui traçait sa mère et qui a tout fait pour retrouver sa part d'humanité. J'ai aimé la pudeur avec laquelle elle effleure ce qu'elle a subi ou vu dans les camps. J'ai aimé la personnalité hors du commun de cette femme qui a aimé plus que tout sa liberté. 
Ce récit sur l'amour après les camps, sujet peu abordé dans la littérature, est servi par une écriture tout simplement sublime dans ce texte court mais très dense.


Ce titre fait partie de la sélection du Prix Essai France-Télévisions 2018.


Citations
" Ce numéro, je te le donne. Je n'ai pas d'enfant. Je vais mourir bientôt, mais je ne veux pas que cette histoire meure avec moi. Prends ce numéro et note-le sur ton bras", "Des enfants et des petits-enfants de déportés se font tatouer le numéro de leurs parents."

" Je n'étais pas une gosse, j'avais tout compris du genre humain à quinze ans, pas une adulte non plus, j'avais si peu connu de la vie."

" Si aimer quelqu'un c'est l’aider à vivre, alors je suis sûre qu'il m'a aimée."

" L'amour est une boucle étrange, ce qui nous a fait aimer l'autre nous le fera quitter."

" Mon frère… ma sœur, morts d'un camp où ils ne sont pas allés. Il y a des émotions que je n'ai pas envie de revivre."


L'auteure


Marceline Loridan-Ivens, née en 1928, déportée à Auschwitz-Birkenau avec son père, a été actrice, scénariste, réalisatrice. Après le succès mondial de "Et tu n'es pas revenu", elle nous offre un récit sur l'amour après les camps avec la complicité de Judith Perrignon.







Judith Perrignon est une journaliste, romancière et essayiste .









13ème participation au challenge rentrée littéraire 2018 organisé par Bea Comete











Catégorie PASSAGE DU TEMPS

2 commentaires:

  1. Ce témoignage est à rajouter à tous ceux que nous avons eu et ils ne seront jamais de trop. Les survivants, petit à petit disparaissent , alors je les remercie de porter à notre connaissance le martyr qu'ils ont vécu.

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    1. Comme tu as raison... Des témoignages indispensables

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