lundi 13 septembre 2021

S'adapter de Clara Dupont-Monod


Date de parution : 18 aout 2021 chez Stock
Nombre de pages : 200

" Je laisserai ta trace." 

Dans une vallée perdue des Cévennes, dans les années 90, "un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté." Ce sont les pierres rousses de la cour, les gardiennes de cette cour, qui nous racontent l'histoire des enfants de cette famille "c'est eux que nous souhaitons raconter."

Au bout de trois mois, le développement de l'enfant inquiète les parents " les yeux de l'enfant caressaient les paysages et les gens. Ils ne s'attardaient pas." Le diagnostic tombe, il pourra seulement pleurer ou exprimer son bien-être, il restera un nouveau-né pour toujours avec une espérance de vie de trois ans maximum. Une malformation génétique. 

La famille comprend déjà deux enfants, l'aîné a 9 ans et la cadette 7 ans. Leur vie bascule avec la naissance du bébé, c'est la fin de l'insouciance. "Seuls face aux débris de leur cocon", chacun d'eux va réagir différemment.

L'aîné dont l'assurance en a fait le seigneur de l'école est un enfant "solitaire et royal, d'une assurance froide", il va raconter le monde à l'enfant, être ses yeux, développer son ouïe, son odorat, son toucher, il le prend  tel qu'il est et devient patient, attentif et protecteur. Il s'épanouit dans le joue-contre-joue, se délecte de sa peau douce et soyeuse, de son sourire... Il se donne pour mission de le protéger comme il le faisait avec sa sœur. Il a quitté brutalement l'enfance contrairement à sa sœur. Mais un jour l'enfant devra quitter la maison et la pouponnière qui le garde dans la journée pour être placé car il est trop lourdement handicapé. Il ira dans une maison à des centaines de kms d'eux. L'aîné éprouvera alors un énorme manque physique, sa souffrance sera telle que lors de ses retours pendant les vacances il ira jusqu'à ôter ses lunettes pour ne plus le voir, pour ne plus s'attacher à lui.

La cadette va ressentir de la colère dès la naissance, elle en veut tout de suite à ce bébé qui lui fait perdre l'attention de l'aîné, qui aspire les forces de tous, qui a plongé ses parents dans le chagrin et qui l'isole. Elle éprouve du dégoût, de la colère mais aussi de la culpabilité. La colère qui s'est installée en elle ne la quittera que lorsqu'elle sentira qu'il lui faut entamer un combat pour réparer sa famille au bord de la rupture. 

Le dernier, né après la disparition de l'enfant, sait qu'il est né pour consoler ses parents, il les protège et accepte de vivre avec l'ombre d'un défunt, d'un fantôme, il intègre " cette ombre qui ourle sa vie... un invisible compagnon installé au creux de sa vie."

Une fratrie confrontée au handicap. Dans ce roman aucun des personnages n'est désigné par son prénom, ils sont désignés par leur place dans la famille. Le roman est centré sur la fratrie, sur leurs sentiments et réactions qui différent suivant leur personnalité.

L'auteure explore avec finesse et sensibilité les sentiments des enfants, l'attachement profond de l'aîné pour l'enfant avec qui il devient fusionnel. "Avant, il y avait la vie, les autres. Maintenant,  il y avait son frère", le rejet, le dégout et la jalousie de la cadette, le sentiment d'usurpation du dernier qui ne peut éviter de se demander s'il serait venu au monde si son frère avait vécu et qui culpabilise d'être vivant et normal. Elle décrit comment chacun s'adapte face à cette épreuve. Tous finissent par prendre conscience de tout ce que cet enfant leur a appris, de l'amour pur dont il leur a fait don. Chacun va avoir une destinée marquée par son lien à l'enfant, l'aîné choisit de ne jamais faire son deuil, restant relié à son petit frère par le chagrin.

Il y a beaucoup d'amour dans ce roman lumineux qui ne tombe jamais dans le pathos. Le comportement de chaque enfant est émouvant et la cadette est bouleversante dans sa façon de prendre les choses en main pour sauver sa famille du naufrage. 

L'auteure nous introduit avec douceur, par la voix des pierres de la cour, auprès des membres de cette famille, on partage leurs souffrances, leurs doutes et leurs joies, je me suis sentie bien dans cette famille.

De la finesse et et de la profondeur dans l'analyse des sentiments des enfants, l'omniprésence d'une nature puissante et protectrice, les Cévennes, terre de "loyauté, endurance et pudeur", des personnages très incarnés avec notamment une grand-mère lumineuse, une écriture sublime,  des phrases d'une telle beauté que j'ai eu envie d'en relever une grande quantité... Un grand roman ! 


Citations 

" L'insouciance, perverse notion, ne se savoure qu'une fois éteinte  lorsqu'elle est devenue souvenir."

" Habiter là,  cela voulait dire tolérer le chaos. Et maintenant,  assis sur un parapet, les parents sentaient qu'il leur faudrait appliquer cette logique à leur vie."

" L'enfant contemplait un ailleurs, calé sur un rythme que personne ne déchiffrait."

" Cet être n'apprendrait jamais rien et, de fait, c'est lui qui apprenait aux autres."

" A trop frémir au moindre bruit du monde, à craindre le pire, on n'équilibre personne."

" Un jour, un professeur lui demanda ce qu'il souhaitait faire comme métier, il répondit : "Ainé. ""

" Leur pays voulait du solide, du bon rouage. Il n'aimait pas les différents. Il n'avait rien prévu pour eux. Les écoles leur fermaient la porte, les transports n'étaient pas équipés, la voirie était un piège."

" Inadapté peut-être, mais qui d'autre avait le pouvoir d'enrichir autant ?"

" Il ne peut aimer que dans l'inquiétude.  Il est l'aîné pour toujours."

" Les gens sont d'abord nés d'un lieu, et souvent ce lieu vaut pour parenté "

" Dira-t-on un jour l'agilité que développent ceux que la vie malmène , leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés."


L'auteure



Clara Dupont-Monod est l'auteure de plusieurs romans dont "La passion selon Juette", "Le roi disait que j'étais diable" et "La révolte" (Source : éditeur) 

4 commentaires:

  1. Réponses
    1. On va beaucoup en parler pendant cette rentrée, cela m'étonnerait que ta bibliothèque ne l'ait pas.

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    2. J'ai déjà lu Clara Dupond Monod, je suis certaine que ce roman mérite sa lecture. Le sujet est difficile. Merci pour ce partage pour le bilan des coups de coeur !

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    3. Le sujet est certes difficile mais il est traité avec tellement de délicatesse qu'il m'a semblé très lumineux et gorgé d'amour.

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