Date de parution : 17 août 2016 chez Actes-Sud
Nombre de pages : 266
L’extraordinaire capacité de résistance des plus éprouvés
Quel plaisir de retrouver Valentine Goby dont le fameux « Kinderzimmer » m’a marquée à jamais… Cette fois encore elle nous livre un texte sur la mémoire…
Premier coup de coeur de cette rentrée littéraire pour moi !
Un paquebot dans les arbres est une fiction inspirée de la vie d’une femme qui a demandé à Valentine Goby de raconter son histoire. Cette femme devient Mathilde dans cette fiction.
Paulot, le père de Mathilde, tient un café le "Balto" à la Roche Guyon dans le Val d’Oise aux portes de la Normandie. "Le Balto est le centre du bourg et Paul le centre du Balto", il anime les bals en jouant de l’harmonica , travaille 7 jours sur 7 , c’est un homme qui "fait danser les éclopés et sème la joie", qui est admiré par les trois femmes de sa vie, Odile sa femme et ses filles Annie et Mathilde. Un homme généreux mais aussi très insouciant, qui n’a aucune épargne et un couple très amoureux au comportement parfois infantile.
Mathilde adore son père, se comporte en garçon manqué pour lui plaire, pour qu’il soit fier d’elle.
Mathilde a 9 ans en 1952 lorsque leur vie bascule. Paul, atteint de pleurésie, est obligé de partir 2 mois au sanatorium d’Aincourt dans le Val d’Oise, un grand paquebot blanc niché dans les arbres. Il devient pour les villageois un paria, un "tubard" qu’il faut éviter, un potentiel assassin. Mathilde est mise à l’écart par ses camarades de classe, tout l’entourage vit dans la crainte de la contagion.
Au retour de Paulot, la lente descente aux enfers commence avec l’impossibilité de continuer à travailler au Balto, le déménagement, la recherche de moyens pour survivre, une vie un peu mortifère à laquelle Mathilde cherche à échapper dans les émois de l’adolescence.
Puis c’est la dislocation de la famille en 1960 avec les départs des deux parents au sanatorium et le placement de Mathilde et de son jeune frère Jacques dans deux familles d’accueil différentes. C’est une famille démembrée qui va maintenir les liens par des visites chaque week-end de Mathilde à ses parents et par une très belle chaîne de lettres quotidiennes qu’ils s’envoient tous les 4, la sœur aînée Annie est mariée, enceinte et très à distance de sa famille, à la périphérie de cette histoire...
Mathilde va alors porter un lourd fardeau, se retrouver chargée de famille, prendre en charge son jeune frère qui frôle la mélancolie et connaître le froid, la faim, une extrême solitude et un total dénuement mais elle refusera toujours d’être assistée et rêvera d’émancipation, d’autonomie…
Mathilde s’use peu à peu sous le poids de responsabilités qui ne sont pas de son âge et s’oublie complètement.
Mathilde s’use peu à peu sous le poids de responsabilités qui ne sont pas de son âge et s’oublie complètement.
C’est un livre qui serre le cœur, un livre sur une tragédie, sur la maladie, sur la solidarité entre malades, sur la misère en temps de prospérité puisque nous sommes dans les Trente Glorieuses, sur le drame des travailleurs indépendants comme les parents de Mathilde qui n’ont plus les moyens de payer leur assurance privée, sur l’indifférence et la lâcheté de l’entourage, sur la froideur et le manque de compassion des services sociaux qui mettent les gens dans des cases, sur la volonté d’autonomie d’une jeune fille, le tout avec la guerre d’Algérie en toile de fond.
Valentine Goby cite la phrase de Sartre évoquant la peste « la maladie est une exagération des rapports de classe » qui résume bien un des propos de ce livre.
Valentine Goby cite la phrase de Sartre évoquant la peste « la maladie est une exagération des rapports de classe » qui résume bien un des propos de ce livre.
J’ai été en totale empathie avec cette enfant au caractère bien trempé qui devient une femme courageuse à la volonté de fer qui va prendre le rôle d’une mère.
C’est aussi une magnifique histoire d’amour d’une fille pour sa famille et en particulier pour son père.
Valentine Goby dit avoir voulu "mettre en lumière l’extraordinaire capacité de résistance des plus éprouvés", c’est vraiment ce que j’ai ressenti tout au long de cette lecture.
L'histoire se termine avec la mort de Paulot, annoncée dès les premières pages, on ne saura donc pas quelle vie aura eu ensuite Mathilde et sa famille, c'est certainement une volonté de cette femme, juste une légère frustration pour moi...
L’écriture de Valentine Goby est toujours aussi précise, fouillée, dense, sans pathos... C’est vraiment une auteure pleine de talent. Cette lecture confirme mon attachement à cette auteure qui fait maintenant partie de mes incontournables. J'ai eu l'occasion de la rencontrer au Marathon des Mots de Toulouse en 2014 lors d'une lecture de Kinderzimmer et au Livre sur la Place de Nancy en 2015 et les échanges que j'ai pu avoir avec elle m'ont fait ressentir toute son humanité.
Clara est aussi enthousiaste que moi !
Citations
"D’un côté le cimetière des bien-portants, de l’autre le cimetière des tubards. Ils ont même peur de nous une fois morts."
"S’alléger de toute histoire, de tout devoir. Etre un termite aux longues ailes blanches, se couler dans la file sinueuse qui reproduit d’instinct le mouvement archaïque et fractionne la charge de tous en parcelles minuscules, exactement ajustées aux capacités de chacun, et te délivre de toute mission trop vaste pour toi seule."
"Elle vous énoncerait au centime près le montant de ses premières cotisations, merveilleux mot, co-ti-sa-tions, qui fait d’une visite chez le médecin un acte de routine, d’une grippe un état passager, il allège les souffrances physiques avant même leur apparition, dissipe l’effroi de la ruine… Elle tient à distance les spectres de la mort et de la dépendance."
Valentine Goby, née en 1974, est écrivain de littérature et de littérature jeunesse.
Diplômée de Sciences-Po, elle a effectué des séjours humanitaires à
Hanoi et à Manille.
Enseignante, elle a aussi fondé l'Écrit du Cœur,
collectif d'écrivains soutenant des actions de solidarité.
En 2014 elle reçoit le prix des libraires et le prix littéraire des lycéens d'Ile-de-France pour "Kinderzimmer".
1ère participation au Challenge Rentrée Littéraire 2016
Catégorie VOYAGE
Lu du même auteur
pour accéder à ma chronique, cliquer ici
Merci à Nelly et aux Editions Actes Sud pour cette lecture en avant-première
nous sommes entièrement d'accord !
RépondreSupprimerJ'ai vu ça !
SupprimerEt bien comment passer à côté, maintenant ? Impossible !
RépondreSupprimerUn incontournable de cette rentrée !
Supprimeril sera à l'affiche de notre prochain Bibliomaniacs donc je suis ravie que ce soit un coup de coeur pour toi ! :)
RépondreSupprimerVous avez fait un excellent choix...Hâte de vous écouter...
SupprimerJe pense le lire sans faute !! ;)
RépondreSupprimerTu ne devrais pas être déçue!
SupprimerCe pourrait être l'occasion pour moi de découvrir cette auteure.
RépondreSupprimerIncroyable, tu n'as pas lu Kinderzimmer? Je t'encourage à le découvrir !
SupprimerJ'avais adoré Kinderzimmer, il fait bien sûr partie des 6 romans de la rentrée que je veux lire.
RépondreSupprimerTres bon choix. Il ne peut que te plaire...
Supprimer