Date de parution : 17 aout 2023 chez Gallimard
Nombre de pages : 432
" Comment peut-on disparaître aussi vite de la vie de ceux que l'on aime ? "
Sarah, quarante-quatre ans, a contacté un écrivain qu'elle admire pour lui raconter son histoire afin qu'il en fasse un roman. Dans ce futur roman, Sarah s'appellera Susanne, ce double littéraire de Sarah habitera une autre ville qu'elle, exercera un autre métier qu'elle mais vivra le même drame.
Après avoir été frappée par un cancer, Sarah a choisi d'abandonner son métier d'architecte pour se consacrer à sa passion d'artiste : construire des cabanes-refuge. "Elle chérissait ce quotidien comme quelqu'un qui a failli mourir. Vivre après les frayeurs d'un cancer est un cadeau inespéré. C'est puissant et tenace. Chaque jour était béni. Sarah en éprouvait une immense gratitude."
Mais après vingt ans de mariage, Sarah ne se sent plus aimée par son mari comme elle le désirerait. Tout va pourtant apparemment bien entre eux, ils ne se disputent jamais, "il me négligeait dans une ambiance idyllique", mais chaque soir, son mari se retire dans son bureau, la laissant seule avec leurs enfants de dix-sept et vingt ans. Dans le même temps, elle s'aperçoit qu'il possède soixante-quinze pour cent de leur domicile conjugal, cette répartition a été définie lors de l'achat de leur résidence principale alors que, depuis des années, elle assure la totalité des dépenses quotidiennes du couple pendant que son mari fait fructifier l'argent qu'il gagne. Elle demande à son mari de rééquilibrer cette répartition et de se montrer plus présent. En vain... Pour provoquer un électrochoc, elle lui annonce qu'elle va aller vivre ailleurs quelques mois, le temps de le laisser réfléchir à leur situation.
Cette décision va provoquer un enchaînement d'évènements aussi bouleversants qu'imprévisibles.
Ce nouveau roman d'Eric Reinhardt fait écho à son roman "L'amour et les forêts" dans lequel il avait romancé la vie d'une lectrice qui s'était confiée à lui. Ici le roman entremêle habilement, sans jamais nous perdre, les dialogues entre Sarah et l'écrivain et l'histoire de Susanne inventée par l'écrivain à partir des éléments que Sarah lui a transmis.
Eric Reinhardt raconte les violences sournoises que son héroïne a subi de la part de son mari avant qu'elle ne parte s'installer ailleurs, la violence du silence dans laquelle il l'a ensuite enfermée, véritable torture psychologique. Il décortique l'implosion de la famille, le déclassement social et la descente aux enfers de cette femme "au cœur trop exigeant, usé par l'espérance". Ce rejet est vécu par Sarah comme une véritable répudiation " Je rejoins la confrérie des femmes abandonnées lâchement et légalement, après des années de bons et loyaux services et d'enfantement. Mon devoir est terminé, les enfants sont élevés avec brio alors dehors maman, dehors l'épouse, pas un merci. Limogée sans le moindre égard."
Ce roman nous permet également de nous approcher du travail de l'écrivain et explicite la posture qui est la sienne vis à vis de celle qui lui confie son histoire. Comment il écoute Sarah, comment il s'approprie son histoire pour en faire un roman, pourquoi il choisit délibérément de modifier certaines scènes ou péripéties, pourquoi il attribue à Susanne certaines réactions à l'opposé de celles de Sarah, comment il enrichit son roman de ses propres fantasmes ou souvenirs... on se retrouve au cœur du travail du romancier, de sa façon d'écrire une fiction à partir du réel avec la possibilité qu'a l'écrivain de rendre justice et réparation à l'opprimée dans sa fiction. C'est passionnant ! " Voilà que je parle de moi, Sarah, à la troisième personne, c'est bien la preuve que ce que l'on vit parfois nous propulse dans des espaces mentaux qui font de nous, de nous tous, des personnages de fiction".
La relation entre Sarah, lectrice, et un écrivain est également bien observée. Un contact via les réseaux sociaux, des échanges de mails puis une rencontre et des liens mystérieux se tissent peu à peu entre eux.
Aucune longueur, aucune baisse de rythme, de la tension dans ce roman écrit d'une plume d'une grande élégance et brillamment littéraire. Une lecture addictive.
Citations :
" Elle commença à sentir la présence d'une authentique muraille de verre entre elle et sa maison, entre elle et sa famille, entre elle et son avenir, entre elle, même, et son propre présent - muraille matérialisée par le silence où on la tenait prisonnière. Sa propre vie, dans ce silence, n'était qu'une vie d'emprunt, une vie qu'on lui prêtait en attendant de lui restituer la vraie."
" Ils ont fait disparaître Sarah de leur vie aussi sûrement que l'eût fait la maladie si elle s'était révélée fatale."
" C'est insupportable le silence. Ca rend fou. C'est la pire violence qu'on puisse faire à sa femme en fait."
L'auteur
Le prix Renaudot des lycéens 2014 lui a été décerné pour son roman "L'amour et les forêts" (Gallimard), ainsi que le prix du roman France Télévisons 2014. En mars 2015, ce livre reçoit le prix des étudiants France Culture -Télérama.
En plus de ses activités d'écrivain, il est également éditeur free-lance de livres d'art.
Photo : Francesca Mantovani © Editions Gallimard
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Un livre que j'ai dévoré. Connaissons nous vraiment la personne avec qui nous partageons notre vie ? Oui, le silence rend fou.
RépondreSupprimerPassionnant, Connaissons nous vraiment la personne avec qui nous partageons notre vie ?
RépondreSupprimerOui, le silence est une torture psychologique, il peut rendre fou.
Chantal.
La torture psychologique est particulièrement bien rendue dans ce roman, c'est assez effrayant.
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