Date de parution : janvier 2016 chez Stock
Nombre de pages : 180
Une méditation sur la mort mais aussi une magnifique célébration de la vie
L'arbre du pays Toraja, en Indonésie, qui donne son titre à ce roman, est une sépulture. Dans son large tronc creusé, on
dépose les corps des très jeunes enfants qui viennent à mourir. Puis «
on ferme la tombe ligneuse par un entrelacs de branchages et de tissus.
Au fil des ans, lentement, la chair de l'arbre se referme, gardant le
corps de l'enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée.
». Cela revient en quelque sorte à confier un corps mort à un corps vivant.
Les Toraja, habitants d'une île de l'archipel indonésien, ont un rapport à la mort très différent du notre. Adepte de nombreux rites mortuaires, c'est un peuple dont "l'existence
est rythmée par la mort" alors que "nous gommons la présence de la
mort". Qui a raison? Vivent-ils mieux que nous? Voilà une des premières interrogations de Philippe Claudel.
Elles sont nombreuses les interrogations qu'il se pose et qu'il nous fait nous poser dans ce livre qui parle d'amitié, d'amour, de maladie, du vieillissement et de la mort.
Le narrateur, cinéaste comme Philippe Claudel, vient d'être confronté à la maladie puis à la mort de son producteur, son "meilleur et seul ami" Eugène à cause d'un "vilain cancer" (il faut reconnaître dans Eugène l'éditeur Jean-Marc Roberts décédé en 2013).
Le narrateur se pose nombre de questions philosophiques : Quand tombe-t-on gravement malade?
"Quand donc tombons nous gravement malades? Quand tout va bien ou quand tout va mal? Dans la monotonie des jours qui se ressemblent? Ou bien dans le dérèglement, la rupture d'un quotidien égal?" Le cancer d'Eugène surgit alors qu'il est entre deux histoires d'amour, ce qui ne lui arrive jamais. "Le cancer s'était glissé dans l'interstice que l'amour avait laissé libre. Eugène était mort de ne plus aimer et de ne pas être aimé."
Le narrateur plonge dans le souvenir d'autres amis disparus, l'un suicidé suite à un chagrin d'amour à 19 ans, un autre mort de leur passion commune pour l'alpinisme et s'interroge sur la capacité de l'homme à continuer à vivre après la mort de l'autre. «
Poursuivre sa vie quand autour de soi s'effacent les figures et les
présences revient à redéfinir constamment un ordre que le chaos de la
mort bouleverse à chaque phase du jeu. Vivre, en quelque sorte, c'est
savoir survivre et recomposer ».
Viennent aussi des questions sur l'amour (le narrateur est entre deux histoires, entre son passé et son avenir) et sur le vieillissement : le narrateur, lorsqu'il va se met à fréquenter une femme de 23 ans sa cadette, pose un regard sans pitié sur son corps vieillissant "elle s’éprend d'un squelette dont elle
est la seule à ne pas percevoir l'apparence terrifiante "
"J'ai
lu quelque part que la cinquantaine est la vieillesse de la jeunesse,
et que la soixantaine est la jeunesse de la vieillesse"
Des réflexions sur la vie : Qu'est ce qui fait qu'on est pleinement vivants? "Notre vie n'est en rien une figure linéaire. Elle ressemble plutôt à l'unique exemplaire d'un livre, pour certains d'entre nous composé de quelques pages seulement, propres et lisses, recouvertes d'une écriture sage et appliquée, pour d'autres d'un nombre beaucoup plus important de feuillets, certains déchirés, d'autres plus ou moins raturés, plein de reprises et de repentirs"
Ce récit est aussi l'occasion pour Philippe Claudel de nous offrir de très belles pages sur les naufragés au large de Lampedusa, de s'interroger sur le pouvoir des images notamment des images de décapitations d'otages relayées
par YouTube "Leur pouvoir, leur pouvoir d'effroi, ne tient d'ailleurs
qu'à l'image car les meurtres qu'ils perpétuent n'auraient qu'un effet
limité sur l'opinion si aucun site, aucun réseau n'en diffusait la
captation"
Un récit très riche en sujets de réflexion, excessivement prenant et pas triste du tout malgré les sujets évoqués. Je qualifierai même ce texte de lumineux...
C'est un très bel hymne à la vie servi par la plume sublime de Philippe Claudel. Le genre de livre dont je ralentis la lecture à la fin pour ne pas déjà le quitter.
Citations
" Pour moi, ils n'étaient pas tout à fait morts. Ils n'étaient plus dans la vie. Ce n'était pas la même chose."
" Je me souviens que mon père me disait qu'après quatre-vingt ans on commence enfin à connaître la valeur des secondes, et que cela procure une volupté nouvelle."
" De nos jours on cherche à tout prix à mourir beaux. Cela ne nous empêche pas de mourir souffrants et amers."
L'auteur
Écrivain traduit dans le monde entier, Philippe Claudel est aussi cinéaste et dramaturge. Il a notamment publié "Les âmes grises", "La petite fille de Monsieur Linh" et "Le rapport de Brodeck". Membre de l'académie Goncourt, il réside ne Lorraine où il est né en 1962.
7eme contribution au Challenge Rentrée Hiver 2016 organisé par Laure de MicMelo
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je vais bientôt commencer cette lecture, donc je suis ravie de lire ton beau billet, et de voir que ce roman t'a plu :)
RépondreSupprimerMerci Eva, je pense qu'il va te plaire...
SupprimerComment qualifierais-tu ce texte ? Tu parles de "récit". C'est donc une réflexion plus qu'un essai ? La couverture mentionne le terme "roman". A te lire, je n'ai pas vraiment l'impression que ce soit le cas, si ?
RépondreSupprimer(Rien à voir, mais on est en train de lire le même livre ;-) )
Non ce n'est pas un essai.
SupprimerPhilippe Claudel le qualifie de "récit libre dans sa forme, dans son agencement et dans son déroulé", tout ça à partir d'une histoire très romancée (la mort de son ami) ce qui lui vaut la qualification de roman.
En tout cas l'écriture est aussi belle que la couverture...
Merci pour ton article: je suis décidée à le lire! A bientôt!
RépondreSupprimerlucia-lilas
http://lireaulit.blogspot.fr/
J'attends donc de lire ton avis. J'espère qu'il va te plaire.
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