mardi 5 septembre 2017

Le jour d'avant de Sorj Chalandon


Date de parution : 16 août 2017 chez Grasset
Nombre de pages : 336

"La mine va tous nous tuer" - "La mine n'a aucune pitié pour l'homme"

Fan absolue de Sorj Chalandon, je ne pouvais que me précipiter sur son nouveau roman avec toutefois l'appréhension de ne pas l'aimer autant que les précédents. Je suis finalement ravie que ce roman Le jour d'avant soit l'un de mes premiers coups de cœur de cette rentrée.
Après un dernier roman à forte connotation autobiographique, Sorj Chaladon revient ici à la fiction, mais c'est une fiction inspirée de faits réels.

Le narrateur Michel, chauffeur routier, accompagne sa femme dans ses derniers mois de vie puis quitte Paris pour retourner là où il a passé sa jeunesse. Maintenant qu'il n'a plus personne pour "l'aimer, le protéger ou le juger" il va pouvoir assouvir son besoin de vengeance. Il va retrouver et punir celui qu'il considère comme l'assassin de son frère dont il était très proche, mort 40 ans plus tôt.
Michel porte autour de son cou une piécette devenue médaille, c'est une taillette, une rondelle de métal bleu gravée au matricule d'un mineur. Celle qui ne quitte plus Michel porte le matricule de son frère Joseph, âgé de 30 ans lorsqu'il a péri le 27 décembre 1974 dans la catastrophe de Liévin qui a vu disparaitre 42 mineurs suite à un coup de grisou, un drame qui a fait 115 orphelins.
Traumatisé par la disparition de son frère puis de son père, hanté par la grande catastrophe de Liévin, Michel a vécu toute sa vie habité par la colère et la haine et par le besoin impérieux de connaitre la vérité. Pour lui, il n'y a pas de fatalité dans ce drame et Dravelle, le contremaitre, petit caporal méprisant qui organisait le travail des mineurs, est responsable. Michel veut faire payer les Houillères qui n'ont jamais répondu de leurs négligences et ont oublié les hommes au profit du rendement.

Sorj Chalandon a choisi un sujet grave pour son nouveau roman, il rend ici un bel hommage aux mineurs en général et aux victimes de la catastrophe de Liévin en particulier. En peu de mots Sorj Chalandon sait décrire l'atmosphère de cette région, l'enfer que vivaient les gueules noires, leur épuisement et la peur au ventre qui les saisissait avant de descendre au fond, la solidarité, la fraternité qui les unissaient "Les hommes qui frottaient le dos des autres hommes" et le fatalisme qui présidait à leur vie.
"Un mineur voit son sang tous les jours".  
"Lorsqu'il remonte au jour, le mineur n'est qu'un survivant " 

J'ai été touchée par les évocations du jour de la catastrophe, des réactions des familles puis, des années après lorsqu'il revient sur les lieux, par la description des vieux mineurs à bout de souffle brisés par la silicose, crachant du sang dans leurs mouchoirs. J'ai été horrifiée par certains détails, par exemple lorsqu'on apprend que la Direction des Houillères retire trois jours sur la paie du mois des mineurs décédés car leur mort est survenue le 27 et fait rembourser aux veuves les habits de travail que leurs maris ont abîmés en mourant... 
A noter également en début de récit de magnifiques pages sur l'accompagnement en fin de vie à propos de la femme de Michel, je n'ai pas souvenir d'avoir vu Sorj Chalandon aborder ce thème dans ses précédents ouvrages...

Ce roman aurait pu n'être qu'un simple traitement journalistique sous une forme romancée de ce drame, un procès de la mine et des Charbonnages de France, c'est ce que j'ai craint en début de lecture, mais on découvre peu à peu que Sorj Chalandon a choisi un angle particulièrement original pour parler du drame de Liévin (je ne peux pas en dire plus…), il nous plonge littéralement dans les méandres de l'esprit humain et met en scène un personnage inoubliable pour qui j'ai éprouvé une très forte empathie tout en rendant un magnifique hommage aux mineurs et à leur famille.
La force du chagrin enfoui, le poids du passé et la culpabilité qui accompagnent une vie de solitude, la terrible vie des forçats des puits sont les principaux thèmes de ce récit. Des rebondissements, un scénario habilement mené, une montée en puissance du récit, une écriture toujours aussi précise et imagée, la colère de l'auteur perceptible à chaque page font de ce nouveau Chalandon un roman magistral que je ne suis pas prête d’oublier.

J'ai chroniqué ce roman pour lecteurs.com qui m'a fait l'honneur de me choisir comme lectrice du mois d'août. (Merci Dominique!)

Citations
"Elle est tombée amoureuse de mes blessures, et moi de son intelligence"

"Il portait son costume du dimanche et son front du lundi"

"Après la mort de ma femme, je n'avais plus que moi"

"J'aimais d'elle tout ce que son cœur disait de moi"

" Lorsqu'il remonte au jour la mine a pris la place de l'air dans ses poumons. Le mineur n'est pas mort, non. Mais il sait que la mort l'attend "

" Ce n'est pas parce qu'un mineur remonte qu'il est encore vivant "

L'auteur
Sorj Chalandon, né en 1952, est un journaliste et écrivain français.
Il a été journaliste au quotidien "Libération" de 1974 à 2007. Membre de la presse judiciaire, grand reporter, puis rédacteur en chef adjoint de ce quotidien, il est l'auteur de reportages sur l'Irlande du Nord et le procès de Klaus Barbie qui lui ont valu le prix Albert-Londres en 1988. Depuis août 2009, Sorj Chalandon est journaliste au "Canard enchaîné", ainsi que critique cinéma.
Il est devenu un auteur reconnu grâce notamment à "Une promesse" en 2006 (Prix Médicis), "Mon traître" en 2008 (Prix Joseph Kessel) et en 2011 "Retour à Killybegs" couronné par le Grand Prix du roman de l'Académie Française. En 2013, le prix Goncourt des lycéens lui est attribué pour "Le quatrième mur". En 2015, il publie un nouveau roman "Profession du père" où il s’inspire de sa propre enfance. De 2008 à 2012, Sorj Chalandon fut le parrain du Festival du Premier Roman de Laval, organisé par Lecture en Tête. Depuis 2013 il est le Président du Jury du Prix Littéraire du Deuxième Roman.



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14ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2017




2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Excellent mais pas son meilleur pour moi car il a mis la barre tellement haut avec Le quatrième mur et Retour à Killybegs !

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