Date de parution : 19 aout 2022 aux éditions du Sous Sol
Nombre de pages : 110
Dans une grande ville d'un pays en guerre, le colonel, ombre grise à la tête de la Section spéciale, est un spécialiste de l'interrogatoire, un bourreau tortionnaire " simple artisan jamais esthète ". La nuit il ne dort pas, ses victimes viennent le tourmenter, de son premier mort à la guerre aux Hommes-poissons tous reviennent le hanter. "Il a bien compris son châtiment, cette peine à perpétuité prononcée par ses martyrs qui lui refusent l'amnésie même provisoire même de quelques heures seulement."
Son ordonnance, un jeune soldat de la Reconquête, assiste à son "travail" dans le sous-sol du quartier des tanneurs, en silence et en retrait du cercle de lumière où le bourreau officie en silence froidement, efficacement, entouré de ses assistants en formation. Il semble se désolidariser de ces actes. Alors que la Reconquête s'enlise dans la brume, que la Ville devient silencieuse, dans un grand Palais déserté, un général enchaîne les parties d'échecs solitaires et devient fou.
Ce texte sur la guerre et ce qu'elle fait aux hommes prend la forme d'une sorte de fable racontant une guerre qui n'est pas nommée dans une Ville qui ne l'est pas non plus. Il pleut sans discontinuer dans cette ville de brume et de brouillard.
Des chapitres où défile l'histoire de trois hommes, le colonel, l'ordonnance et le général alternent avec des chapitres en italique où le colonel s'adresse à ses visiteurs du soir, ses victimes devenues ses bourreaux après avoir pris possession de ses nuits. Le colonel, l'ordonnance et le général n'ont pas de prénoms, ils n'existent que par leur fonction.
Les propos du colonel sont d'une force extrême, lui qui transforme les hommes en choses est conscient d'inspirer un mélange de respect, d'effroi mais aussi de répugnance "j'ai depuis longtemps perdu toute prétention à la sympathie à l'amitié à l'amour à la pitié", devenu un tortionnaire torturé par ses ombres, il ne connait ni sommeil ni oubli.
Pour tenir pendant les interrogatoires menés par le colonel, l'ordonnance se récite intérieurement les lettres que sa mère lui a envoyées depuis son arrivée, pendant que le général, enfermé dans son bureau du grand Palais de marbre, près de la statue du buste décapité du Dictateur de l'ancien régime, sombre dans la folie.
Ce roman est une réflexion sur la guerre qui justifie que l'homme tue pour une cause noble, pour défendre la nation ou pour éviter d'être tué "les morts de la guerre ne sont pas des crimes, soldats", sur la perte de foi des soldats et officiers quand le conflit s'enlise, sur leur extrême solitude.
Emilienne Malfatto excelle dans la suggestion d'un monde peuplé d'hommes devenus uniformément gris dans une ambiance brumeuse, elle retranscrit parfaitement l'étrange atmosphère qui règne sur la Ville et chez les militaires.
Une histoire puissante, épurée mais dense, une écriture de toute beauté. Une lecture coup de poing essentielle tellement elle résonne avec l'actualité.
Jostein l'a lu également.
L'auteure
Emilienne Malfatto est photographe, romancière et journaliste - un temps reporter de guerre. Son travail photographique a été notamment publié dans le Washington Post et le New-York Times, et exposé en France et à l'étranger. En 2021, elle a reçu le prix Goncourt du premier roman pour "Que sur toi se lamente le Tigre" et le prix Albert-Londres pour "Les serpents viendront pour toi : une histoire colombienne." (Source : éditeur)
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