Date de parution : 18 aout 2022 chez Gallimard
Nombre de pages : 208
" Quand on commence à creuser alors on creuse toujours, quand on commence à écrire, alors on doit écrire toujours."
Alors qu'elle est enceinte Pauline se fait faire pour la première fois une carte d'identité. Elle se retrouve alors face à ces trois prénoms écrits derrière le sien : Jeanne, Jérôme, Izé. Dans sa famille on ne parle pas du passé, les enfants ne posent pas de questions ou s'ils en posent les parents ne répondent pas. " On est une famille anonyme. On ne sait pas d'où on sort. Nous, moi, mon frère, ma sœur, on grandit dans le blanc." Avant d'être enceinte, Pauline ne s'était jamais posé la question de ses origines mais maintenant il lui faut en savoir plus sur ces trois personnes, " en apprendre plus sur ces personnes dont je n'ai jamais rien su et qui constituent ma famille, cette chaîne dont je suis un chaînon, cette chaîne qui m'enserre, qui me ligote, et qui est brisée... J'ai envie de savoir qui sont ceux dont je porte les prénoms, nous sommes quatre, en réalité, quatre dans la même personne, quatre dans ma tête, quatre dans mon corps."
Elle va découvrir le destin tragique de Jeanne, son arrière grand-mère, partir à Sousse sur les traces de Jérôme homosexuel dans les années 80 et se lancer à la poursuite d'Ysé, héroïne du roman "partage de midi" de Paul Claudel. Mais cette recherche et cette fuite cachent aussi et surtout un drame, un jour blanc du dernier hiver, une enfant sans souffle et une coquille devenue vide, un jour où sa lignée de femmes s'est brisée.
" J'écris pour ne pas faire autre chose. J'écris pour donner une contenance à l'existence. J'écris pour me dire que ça ira. J'écris pour attendre que les jours passent, que la vie passe. J'écris pour occuper mes mains... Plus on creuse et plus il faut creuser encore, creuser plus loin, on ne peut pas faire autrement."
L'auteure veut comprendre qui elle est dans la chaîne des femmes de sa famille "dans l'ombre de ceux qui ont existé avant moi ", esquisser les contours de Jeanne, Jérôme et Izé pour dessiner les siens. La question de l'identité et des origines est au cœur de ce roman mais derrière cette quête d'identité se cache une blessure profonde encore à vif que cette recherche va peut-être aider à cicatriser.
C'est un récit qui mêle fantasme et réalité, Pauline Delabroy-Allard donne libre cours à son imagination débordante, elle nous laisse des images en tête comme celle de Tutu, chat errant malingre recueilli à Sousse qui s'élance sur sa rampe de lancement.
Reprenant dans sa construction les trois questions de Kant "Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m'est-il possible d'espérer ?", ce roman contient des passages très puissants sur l'écriture et la nécessité impérieuse d'écrire "J'écris pour triturer du doigt les blessures de l'existence. J'écris pour savoir qui je suis."
" J'écris pour me défendre. J'écris avec les poings devant, comme si j'avais une bonne garde à la boxe... J'écris pour oublier le bruit de la chair qui frappe la chair inerte pour réveiller la vie déjà partie... J'écris pour laisser des petits cailloux, j'écris pour retrouver mon chemin dans la forêt "
Une magnifique écriture, parfois fiévreuse, pour parler de son jour blanc, tenter de s'en libérer et sortir de l'enfermement qui l'étouffe depuis ce jour d'hiver. Une réussite à la hauteur de son exceptionnel premier roman "Ca raconte Sarah."
L'auteure
Photo : Francesca Mantovani
Lu de cette auteure
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