vendredi 26 août 2022

Les enfants endormis d'Anthony Passeron

 


Date de parution : 25 aout 2022 chez Globe
Nombre de pages : 288 

" Des malades plus coupables que d'autres.   

PREMIER ROMAN 

Début des années 80, arrière-pays niçois, une famille de commerçants respectables. 

Alors que le deuxième fils, père du narrateur, se conforme au modèle familial et assure la continuité du commerce, Désiré, le fils aîné, le fils préféré, rêve d'une existence loin de la viande de la boucherie familiale, loin de la rigueur d'une famille dévouée au travail. Il s'ennuie au village et veut vivre une autre vie que celle de ses parents. Désiré fait des études et travaille dans un bureau respecté mais, insouciant, le jeune homme dévore la vie et plonge dans la drogue suite à un séjour à Amsterdam. Commence alors le cycle infernal toxicomanie, Sida, mariage avec Brigitte également séropositive puis naissance en 1984 d'une petite Emilie qui hérite "du sang pourri" de ses parents, mort de Désiré en 1987 alors qu'il a à peine trente ans.

Ce récit, histoire de la famille de l'auteur, raconte les répercussions de la maladie sur la famille. Le silence dans lequel s'enferme le grand-père, le déni de la grand-mère, la sourde colère du père du narrateur. Dans cette famille en souffrance chacun garde ses sentiments pour lui, l'important est de sauver la réputation de la famille, de protéger Émilie de la réalité, de lui préserver les apparences d'une vie normale.

" Le sida demeurait une maladie tout à fait singulière. Emprisonnée dans la vision morale qu'on avait d'elle, cernée par les notions de bien et de mal, accolée à l'idée du péché. Le péché intime d'avoir voulu vivre une sexualité libre, eu des relations homosexuelles, de s'être injecté de l'héroïne en intraveineuse, d'avoir caché sa séropositivité à ses partenaires, à ses camarades de seringue, d'avoir voulu satisfaire son désir d'enfant quand on se savait pourtant condamnée. Des malades plus coupables que d'autres.   

Anthony Passeron croise deux récits : celui de l'apparition du sida dans sa famille et celui de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains. 

Dans la partie familiale on vit le bouleversement d'une famille où chacun traverse cette épreuve avec ses armes dans une solitude absolue, submergé par le chagrin et la honte en éprouvant un très fort sentiment d'impuissance, "les parents tournaient en rond dans le secret de leurs tourments." C'est l'histoire d'une famille qui a lutté pour son ascension sociale, pour sa respectabilité et dont la trajectoire a été contrariée par un virus. Anthony Passeron nous livre un récit remarquable de sobriété sur son histoire familiale et sur le drame qui a frappé son oncle.

La partie sur l'histoire du sida, entremêlée à l'histoire familiale, retrace dans un ordre chronologique la découverte des premiers cas, les premières alertes des scientifiques sur la rapidité de l'évolution de l'épidémie, la mobilisation d'une poignée de médecins dans l'indifférence générale, les années de recherche, de progrès, d'échecs et d'espoirs, les rivalités entre français et américains, la difficulté à sensibiliser les pouvoirs publics, les négligences. Les humiliations, discriminations et brimades envers les malades traités comme des parias, les craintes du personnel hospitalier et le rôle des associations de lutte contre le sida sont également évoquées.

La partie historique est très documentée, très précise mais jamais pesante, un modèle de didactisme, le contexte social de l'époque et l'ambiance de la province des années 80 sont parfaitement restitués. La partie intime et familiale est pudique, très émouvante, elle nous raconte la détresse des familles face à un mal inconnu et cela résonne avec ce qu'un récent virus nous a tous fait vivre.

Un roman remarquable de sobriété et de sensibilité qui se lit d'une traite.

Delphine l'a trouvé passionnant et Nicole est aussi enthousiaste qu'elle.

Ce roman est sélectionné pour le prix Envoyé par la poste, le prix Première plume et le prix du roman Fnac.


Citations

" Sans doute que ça a commencé comme ça. Des gosses qu'on retrouve évanouis en pleine journée dans la rue. Ces enfants endormis avaient les yeux révulsés, une manche relevée, une seringue plantée au creux du bras."

" Quant à mon père, dans le secret de sa colère la plus profonde, je crois qu'il avait établi une distinction fondamentale entre une petite fille victime et ses parents coupables. Coupables de lui imposer leur propre mort, si précoce, coupables de lui léguer leur sang pourri en héritage."

" L'épidémie du sida bouleverse tout, notamment la relation du chercheur au malade. Elle rend la communication entre eux indispensable, fait tomber des cloisons qui les ont longtemps tenus à distance. Soudain, les échecs de la recherche ne se traduisent plus uniquement par des chiffres inscrits dans des comptes rendus, sur des écrans d'ordinateur, mais aussi sur des visages désespérés."


L'auteur



Anthony Passeron est né à Nice en 1983. Il enseigne les lettres et l'histoire-géographie dans un lycée professionnel. " Les enfants endormis" est son premier roman. (Source : éditeur)

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