Date de parution : 24 aout 2022 chez les Avrils
Nombre de pages : 224
" Le sport, cela va au-delà d'une passion, c'est comme une religion."
Victor a passé son enfance en "duo-bulle" auprès d'un père doux, aimant et taciturne qui trimait à l'usine et trouvait souvent refuge dans l'alcool. Sa mère, partie du jour au lendemain et spécialiste des réapparition régulières, était tellement immature qu'elle a toujours été incapable d'assumer la responsabilité d'un enfant, " elle n'a jamais essayé d'être une mère."
A douze ans, Victor vit deux moments fondateurs : il observe un jeune athlète s'entraîner dans un parc puis il voit un athlète cubain à la télévision. Double révélation... Victor demande à son père de l'inscrire au club d'athlétisme pour faire du saut en longueur.
Déterminé à devenir un triple sauteur professionnel, Victor s'entraîne avec ardeur et a la chance de côtoyer un entraîneur qui détecte en lui un potentiel important et qui a envie de le sauver de son triste quotidien "Un talent pur. Un diamant brut à polir." Ensuite il quitte sa petite ville et c'est l'intégration dans l'Institut où il est pris en charge par un coach au charisme exceptionnel et à l'autorité naturelle, il y vit une belle amitié avec Maël en qui il a trouvé son complément.
Victor quitte l'Institut pour la Team Eleven, un grand centre d'entraînement privé, qui lui promet un cadre d'entraînement exceptionnel et un salaire. Mais Victor se retrouve face à Franck Forgeron, l'entraîneur en chef qui souffle le chaud puis le froid tout en ayant l'air d'y prendre un certain plaisir, alternant compliments et insultes " Il distribue bons et mauvais points avec outrance. Il monte parfois ses protégés les uns contre les autres". Victor suit un entraînement "militaro-pervers" mené par "Papa, Jésus, le Cinglé", dénominations que lui donnent ses athlètes selon leur humeur. Victor ne se méfie pas et ne tient pas compte des mises en garde de certains de ses camarades à qui il rétorque : "Il a souvent raison, il fait ça pour notre bien."
Le piège va se refermer sur lui.
" Une graine de champion n'a pas besoin de bonheur pour pousser, juste de l'effort, rien que de l'effort, toujours de l'effort, et puis de la violence aussi. Il faut les malmener, ces gamins, pour qu'ils se transcendent, leur rappeler chaque jour qu'ils ne sont rien, et que, du reste, les champions n'existent pas, seule leur discipline compte, elle les dépasse et les traverse."
Arnaud Dudek aborde ici un thème original : le parcours d'un athlète de haut niveau, sa découverte du sport, son acharnement, ses espoirs et ses sacrifices, jusqu'à sa rencontre avec un homme toxique, un entraîneur-tyran qui va le briser. La maltraitance et le harcèlement moral dans le sport de haut niveau, vaste sujet...
De brefs chapitres à la première personne sont intercalés dans le roman, ils regroupent des éléments de documentation sur le sport de haut niveau, on y apprend que le triple saut a longtemps été considéré comme une discipline mineure. Arnaud Dudek évoque, à travers des réponses à ses interviews (réelles ou fictives), des sportifs qui ont craqué, victimes de dépression nerveuse, d'autres qui se sont suicidés.
La construction suit la technique du saut en longueur avec course d'élan - deuxième saut - troisième saut - suspension. Les courts chapitres vont à l'essentiel, la documentation est précise sans jamais être pesante, elle est juste suffisamment intéressante pour donner envie d'aller sur internet visionner des vidéos de triple saut. La montée en puissance du roman est très réussie et le héros tellement attachant qu'on a envie de le prendre dans nos bras. La plume est comme toujours délicate, poétique et très juste. Quant au titre du roman, il est tout simplement magnifique.
Citations :
" Il y a des âmes aussi complémentaires qu'un violon et un archet, des bouches qui finissent les paroles que nous commençons, des cœurs qui savent nous abriter comme des dunes et qu'on met nous aussi à l'abri du grand vent."
" Le corps ne ment jamais sur l'état de l'âme."
" Il n'y a que le père, et, de temps à autre, cette mère sur courant alternatif, qui revient, repart."
" Lui, il est en guerre. contre ses os, contre ses muscles, contre ses tendons. Il est habité par les heures désertes, le mauve de l'aube et le moucheté du crépuscule. C'est là, dans ces ombres, qu'il essaie de se construire."
" Ces athlètes partagent tout, ou presque. Quand un des leurs trébuche, c'est toute la meute qui chancèle."
" Essayer de faire mieux que les autres mais surtout essayer de faire mieux que soi-même."
" Pas le cœur qui bat, l'autre, derrière, celui qui se serre quand on perd."
" Pour aimer ce sport, il faut apprécier la vie dans toute sa complexité, la vie qui est tout à la fois plume d'oiseau et instrument de torture, édredon et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc de hêtre et feu de forêt criminel, confiture de fraise sur la joue et sang séché sur la tempe... toute cette complexité, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable."
L'auteur
Arnaud Dudek, né en 1979 à Nancy, vit et travaille à Paris. De "Rester sage" (Alma, 2012, sélection Goncourt du premier roman) à "On fait parfois des vagues" (Anne Carrière, 2020), il explore avec un tact rare les thèmes de la filiation, de la résilience. (Source : éditeur)
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