jeudi 3 novembre 2016

Vivre près des tilleuls d'AJAR


Date de parution : août 2016 chez Flammarion
Nombre de pages : 128

Ce roman est une sorte d'Ovni littéraire, une expérience littéraire très particulière car il a été écrit par 18 jeunes écrivains de Suisse romande formant le collectif l'AJAR (Association de jeunes auteur-e-s romandes et romands), un nom choisi en forme de clin d’œil à Romain Gary.
Ce roman nous est présenté comme la publication d'écrits retrouvés dans les archives de la romancière Esther Montandon.

Suite au décès accidentel de sa fille Louise le 3 avril 1960, Esther brûle ses manuscrits et n'a plus jamais écrit ensuite sur la perte de sa fille. Les carnets retrouvés dans les archives contiennent ses impressions, ses pensées et ses réactions après ce deuil.

Après avoir connu des difficultés pour enfanter pendant 10 ans, Esther vit intensément sa grossesse et définit la naissance comme "une rencontre entre deux animaux. L'un, sans défense, devant tout apprendre à l'autre. J'étais celle qui ne savait rien, elle était celle qui savait tout, mais nous ne parlions pas le même langage."

Mais à l'âge de trois ans Louise décède suite à un accident dont les détails ne sont que suggérés.

Dans de courts chapitres qui racontent les sentiments par lesquels elle passe, Esther explore toutes les facettes du deuil que son médecin compare à une mer à traverser.

Elle nous parle de son premier réflexe qui est de prévenir sa mère alors qu'elle est décédée depuis longtemps, du choix des fleurs pour le cercueil avec son envie de fleurs de toutes les couleurs pour la "gribouiller " comme elle gribouillait le papier, du besoin de se maquiller pour l'enterrement pour "tout juste avoir l'air vivante.", des journées enfermées chez elle, de la première sortie pour faire des courses, de la première incursion dans la chambre de Louise, du réconfort recherché dans une bouteille de vin, de l'impossibilité d'imaginer avoir un autre enfant et de sa colère quand son mari lui dit "refaisons un enfant".
Elle évoque son besoin de trouver refuge dans une maison "Les murs ne suintent ni le chagrin ni le souvenir.", son impossibilité d'évoquer Louise en public pour ne pas provoquer de malaise, elle parle des dates anniversaire qui "ne célèbrent que ton absence" et de son incapacité à écrire un nouveau roman.
Des relations de couple qui se distendent, chacun restant muré dans son silence, des tentations de se noyer dans le lac...

 "Le chagrin est un engagement de tout l'être, et je m'y suis jetée. On me dit de me reprendre, de faire des choses pour me changer les idées. Personne ne comprend que j'agis déjà, tout le temps. Le chagrin est tout ce que je suis capable de "faire"."

"Qu'on me rende la fille quelques années, quelques jours. Elle me manque."

Jusqu'à la postface où le pot aux roses est révélé on pense que cette romancière a existé alors que ce texte a été écrit par 18 personnes en une nuit. « Écrire un roman en une nuit, l'idée nous amusait et nous effrayait. Une auteur allait prendre vie sous nos yeux »

Ce carnet de deuil présente une qualité d'écriture égale malgré les changements d'auteurs. La perte de l'enfant unique est évoquée sans aucun larmoiement, aucune lamentation. Un texte très émouvant d'une grande justesse.

Avec cette expérience le collectif l'AJAR a pour objectif de contribuer au débat sur les frontières entre réel et fiction et montrer le pouvoir de la littérature sur le réel. "Nous avons pris conscience qu'un récit, pour s'incarner, n'a pas toujours besoin d'être en adéquation avec le vécu", "La fiction n'est absolument pas le contraire du réel" affirment les jeunes écrivains. 



Citations
"C'est comme si "depuis" je n'étais plus moi mais l'incarnation de son absence à elle."

"Pense-t-il qu'on n'a plus le droit de rire, même une fois qu'on s'est figée dans la pierre?"

"Je ne souffre pas d'un manque, mais d'une ablation."



Les auteurs

 L'AJAR – Association de jeunes auteur-e-s romandes et romands – est un collectif créé en janvier 2012. Ses membres partagent un même désir : celui d'explorer les potentialités de la création littéraire en groupe.
Les activités de l'AJAR se situent sur la scène, le papier ou l'écran. Vivre près des tilleuls est son premier roman.

 
12ème lecture parmi les seize premiers romans sélectionnés en phase 2 des 68 premières fois
 








35ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2016




6 commentaires:

  1. très intéressant ce concept! ton billet pique ma curiosité !

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    1. J'ai trouvé la démarche géniale et le résultat est très réussi.
      Ravie d'avoir piqué ta curiosité Eva !

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  2. Drôle d'expérience en effet, je me demande ce que je vais en penser !

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    1. Une réussite pour moi, une homogénéité incroyable et un traitement toute en finesse et justesse de la question du deuil suite à la perte d'un enfant.

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  3. Eh bien, c'est exactement le même commentaire que celui d'Eva qui me venait à l'esprit en terminant ton billet : intéressant projet qui attise ma curiosité...

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  4. Je suis vraiment ravie d'attiser ta curiosite Delphine !
    Et j'espère lire ton billet bientôt!

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