Date de parution : 16 août 2017 chez Grasset
Nombre de pages : 336
Fan absolue de Sorj Chalandon,
je ne pouvais que me précipiter sur son nouveau roman avec toutefois
l'appréhension de ne pas l'aimer autant que les précédents. Je suis
finalement ravie que ce roman Le jour d'avant soit l'un de mes premiers coups de cœur de cette rentrée.
Après un dernier roman à forte connotation autobiographique, Sorj
Chaladon revient ici à la fiction, mais c'est une fiction inspirée de
faits réels.
Le narrateur Michel, chauffeur routier, accompagne sa femme dans ses
derniers mois de vie puis quitte Paris pour retourner là où il a passé
sa jeunesse. Maintenant qu'il n'a plus personne pour "l'aimer, le protéger ou le juger" il va pouvoir assouvir son besoin de vengeance. Il va retrouver et punir celui qu'il considère comme l'assassin de son frère dont il était très proche, mort 40 ans plus tôt.
Michel porte autour de son cou une piécette devenue médaille, c'est
une taillette, une rondelle de métal bleu gravée au matricule d'un
mineur. Celle qui ne quitte plus Michel porte le matricule de son frère
Joseph, âgé de 30 ans lorsqu'il a péri le 27 décembre 1974 dans la catastrophe de Liévin qui a vu disparaitre 42 mineurs suite à un coup de grisou, un drame qui a fait 115 orphelins.
Traumatisé par la disparition de son frère puis de son père,
hanté par la grande catastrophe de Liévin, Michel a vécu toute sa vie
habité par la colère et la haine et par le besoin impérieux de connaitre la vérité. Pour lui, il n'y a pas de fatalité dans ce drame et
Dravelle, le contremaitre, petit caporal méprisant qui organisait le
travail des mineurs, est responsable. Michel veut faire payer les
Houillères qui n'ont jamais répondu de leurs négligences et ont oublié
les hommes au profit du rendement.
Sorj Chalandon a choisi un sujet grave pour son nouveau roman, il rend ici un bel hommage aux mineurs en général et aux victimes de la catastrophe de Liévin en particulier. En
peu de mots Sorj Chalandon sait décrire l'atmosphère de cette région,
l'enfer que vivaient les gueules noires, leur épuisement et la peur au
ventre qui les saisissait avant de descendre au fond, la solidarité, la
fraternité qui les unissaient "Les hommes qui frottaient le dos des autres hommes" et le fatalisme qui présidait à leur vie.
"Un mineur voit son sang tous les jours".
"Lorsqu'il remonte au jour, le mineur n'est qu'un survivant "
J'ai été touchée par les évocations du jour de la catastrophe, des réactions des familles puis,
des années après lorsqu'il revient sur les lieux, par la description
des vieux mineurs à bout de souffle brisés par la silicose, crachant du
sang dans leurs mouchoirs. J'ai été horrifiée par certains détails, par exemple
lorsqu'on apprend que la Direction des Houillères retire trois jours
sur la paie du mois des mineurs décédés car leur mort est survenue le 27
et fait rembourser aux veuves les habits de travail que leurs maris ont
abîmés en mourant...
A noter également en début de récit de magnifiques pages sur
l'accompagnement en fin de vie à propos de la femme de Michel, je n'ai
pas souvenir d'avoir vu Sorj Chalandon aborder ce thème dans ses
précédents ouvrages...
Ce roman aurait pu n'être qu'un simple traitement
journalistique sous une forme romancée de ce drame, un procès de la mine
et des Charbonnages de France, c'est ce que j'ai craint en début de
lecture, mais on découvre peu à peu que Sorj Chalandon a choisi un angle
particulièrement original pour parler du drame de Liévin (je ne peux
pas en dire plus…), il nous plonge littéralement dans les méandres de
l'esprit humain et met en scène un personnage inoubliable pour qui j'ai
éprouvé une très forte empathie tout en rendant un magnifique hommage
aux mineurs et à leur famille.
La force du chagrin enfoui, le poids du passé et la culpabilité qui
accompagnent une vie de solitude, la terrible vie des forçats des puits
sont les principaux thèmes de ce récit. Des rebondissements, un scénario
habilement mené, une montée en puissance du récit, une écriture
toujours aussi précise et imagée, la colère de l'auteur perceptible à chaque page font de ce nouveau Chalandon un roman
magistral que je ne suis pas prête d’oublier.
J'ai chroniqué ce roman pour lecteurs.com qui m'a fait l'honneur de me choisir comme lectrice du mois d'août. (Merci Dominique!)
Citations
"Elle est tombée amoureuse de mes blessures, et moi de son intelligence"
"Il portait son costume du dimanche et son front du lundi"
"Après la mort de ma femme, je n'avais plus que moi"
"J'aimais d'elle tout ce que son cœur disait de moi"
" Lorsqu'il remonte au jour la mine a pris la place de l'air dans ses poumons. Le mineur n'est pas mort, non. Mais il sait que la mort l'attend "
" Ce n'est pas parce qu'un mineur remonte qu'il est encore vivant "
" Ce n'est pas parce qu'un mineur remonte qu'il est encore vivant "
L'auteur
Sorj Chalandon, né en 1952, est un journaliste et écrivain français.
Il a été journaliste au quotidien "Libération" de 1974 à 2007.
Membre de la presse judiciaire, grand reporter, puis rédacteur en chef
adjoint de ce quotidien, il est l'auteur de reportages sur l'Irlande du
Nord et le procès de Klaus Barbie qui lui ont valu le prix
Albert-Londres en 1988. Depuis août 2009, Sorj Chalandon est journaliste au "Canard enchaîné", ainsi que critique cinéma.
Il est devenu un auteur reconnu grâce notamment à "Une promesse" en 2006
(Prix Médicis), "Mon traître" en 2008 (Prix Joseph Kessel) et en 2011
"Retour à Killybegs" couronné par le Grand Prix du roman de l'Académie
Française.
En 2013, le prix Goncourt des lycéens lui est attribué pour "Le quatrième mur".
En 2015, il publie un nouveau roman "Profession du père" où il s’inspire de sa propre enfance.
De 2008 à 2012, Sorj Chalandon fut le parrain du Festival du Premier
Roman de Laval, organisé par Lecture en Tête. Depuis 2013 il est le
Président du Jury du Prix Littéraire du Deuxième Roman.
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14ème participation au Challenge Rentrée Littéraire 2017
très réussi en effet!
RépondreSupprimerExcellent mais pas son meilleur pour moi car il a mis la barre tellement haut avec Le quatrième mur et Retour à Killybegs !
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