Nombre de pages : 192
Dans ce texte qui tient plus du récit que du roman Mathieu Simonet nous raconte son amie Anne-Sarah Kertudo.
Mathieu et Anne-Sarah se sont rencontrés en sixième. L'auteur décrit ainsi celle pour qui il aura un coup de foudre amical à l'âge de dix-huit ans : "Anne était un bloc... Elle était un monstre de certitudes, de convictions, d'engagements; moi je n'étais que doutes, je voulais m'effacer."
Ils sont unis par leurs différences, homosexualité pour Mathieu et handicap pour Anne-Sarah. La jeune femme est atteinte d'une maladie rare et mystérieuse qui atteint sa vue et son audition. Accepter à vingt ans de porter des appareils auditifs correspond pour elle à un coming out " Être sourd c'est comme être gay. C'est apprendre à s'assumer. Être à la fois différent et comme les autres". Au même âge,, Mathieu ose enfin afficher ses orientations sexuelles balayant son sentiment de honte. "Nous avons fait notre coming out ensemble."
Devenu avocat, Mathieu plaidera pour son amie, victime de
discrimination quand elle a passé l'examen d'avocat. Quant à
Anne-Sarah, devenue juriste, va mener une vie d'engagements, militer pour le droit au logement, s'engager pour les restos du cœur. Refusant la stigmatisation et la compassion envers les handicapés, cette femme qui a perdu la vue vingt ans après avoir perdu l'audition crée la première permanence juridique en langage des signes, se bat pour obtenir la présence d'un interprète en langue des signes dans toutes les procédures judiciaires. Elle va réussir à monter un procès fictif dans le noir sur le principe des restos dans le noir
pour sensibiliser la justice aux ressentis des justiciables aveugles, elle s'engage aussi pour l'amélioration des conditions de vie des sourds en prison. Elle veut créer des ponts pour que le monde de la justice et celui des sourds et des aveugles se comprennent. C'est une battante pour qui tout est simple et léger et pour qui le rire est un allié précieux. " Je
me souviens qu’on hurlait de rire quand elle me racontait ces
histoires. Hurler de rire était la seule preuve tangible que le handicap
ne nous touchait pas, resterait un accessoire, un gadget dans notre
amitié. "On n’utilisait jamais ce mot “handicap” ; il était tabou. "
Mathieu a toujours voulu être écrivain, il n'imagine pas une vie sans écriture, il nous livre de très belles réflexions sur son travail d'écriture, sur ses objectifs "
Assumer de montrer mon intimité, ne pas avoir honte du dévoilement, je
voulais me confronter à ces données fondamentales de l'écriture. Pour
tester ma capacité à devenir écrivain "," On écrit pour proposer des
miroirs aux lecteurs, des miroirs déformants"," Je n'aimais pas
bousculer. J'aimais toucher." Il publiera son premier livre en même temps qu'Anne-Sarah qu'il aura fortement encouragée à écrire. "Anne-Sarah est celle qui me prend par la main pour écrire, qui me prend par le bras pour que je devienne éditeur"
Ce texte est un magnifique hommage à une femme engagée qui a fait preuve d'une énergie incroyable, qui s'est battue pour l'amélioration de l'accessibilité de la justice pour les personnes aveugles et sourdes, des améliorations dont les non handicapés pourront aussi bénéficier. Cette femme fascinante à la personnalité étonnante sera nommée en 2012 au Conseil national du handicap. C'est aussi l'histoire d'une très belle amitié entre Mathieu et celle qu'il qualifie de "l'excroissance au féminin de ma personnalité" , "Anne-Sarah était mon prolongement. Mon accessoire. J'étais son prolongement. Son accessoire. Nous étions interdépendants." J'ai aimé découvrir Anne-Sarah et cette belle histoire d'amitié entre deux êtres qui s'appellent tous les jours depuis vingt ans, qui se racontent tout. Le seul bémol que j'ai sur ce livre concerne les passages en milieu de récit où Mathieu Simonet s'étend sur ses aventures sexuelles et ses amants. Pour moi, ces passages n'apportent rien au récit, j'aurai préféré qu'il les consacre à son amie ou à sa passion pour l'écriture.
Livre lu dans le cadre du prix Orange.
L'auteur
Mathieu Simonet est avocat. Il a écrit plusieurs romans publiés au Seuil. Ancien artiste associé aux Ateliers Médicis, il a réalisé un documentaire consacré à Anne-Sarah Kertudo. (Sources : Éditeur)
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