Date de parution : janvier 2021 chez Flammarion
Nombre de pages : 272
Agathe se souvient de l'été de ses onze ans. Sa mère Alice lui avait fait brutalement manquer sa dernière semaine d’école pour l'emmener en vacances à Saint-Clair, sur la côte d'Azur. C'est l'endroit où Alice avait grandi, élevée à contre-cœur par sa grand-mère Augustine après le décès de sa propre fille, Ariane, en mettant au monde Alice. Elles logeaient au petit hôtel de la Citadelle, tenu par Madame Platini, une vieille amie d'Augustine.
Alice n'est pas une mère comme les autres. Fantasque, parfois hystérique, complètement imprévisible, c'est une femme-enfant versatile qui souffle sans cesse le chaud et le froid, elle enveloppe sa fille de petits noms doux "mon petit macaroni, ma petite tortue d’eau douce, ma petite salamandre..." avant de passer dans l'instant suivant à un registre humiliant en l'appelant "mon petit cochon... grosse patate " en insistant sur son petit embonpoint alors qu'elle-même est d'une fascinante beauté aux yeux de sa fille. Probablement bipolaire, câline ou odieuse, dans la fusion ou dans le rejet, toujours excessive, Alice fait basculer leurs journées dans un trou noir ou dans une gaieté outrancière. Les journées démarrent sur une baignade annoncée par la mère qui lance un tonitruant "Maillot de bain !" Alice a tendance à disparaitre en laissant sa fille seule, elle sort le soir et revient ivre. "Je pensais que je possédais le pouvoir de la consoler. Alors, j'acceptais tout ce qu'elle me demandait... Pour rien au monde je ne voulais la contrarier". Agathe ne peut pas trouver d'aide auprès de son père qui vit à New-York où il a fondé une nouvelle famille. Elle trouve refuge et évasion dans la lecture du seul livre qu’elle a emporté avec elle, "Le bateau incassable".
Alice la presse de grandir vite, la force à sa façon à devenir indépendante, la petite fille pressent comme une urgence. "Ma mère s’adressait tantôt à l’adulte que je n’étais pas encore, tantôt au bébé que je n’étais plus. Je naviguais entre deux âges qui n’étaient pas le mien."
L'histoire est racontée par Agathe au présent et en flashback. C'est une histoire qui serre le cœur dès les premières pages, on partage immédiatement la souffrance d'Agathe et on comprend que cette semaine de vacances dans le sud va mal se terminer. Nathalie Kuperman nous fait passer par de multiples émotions tant envers Agathe qu'envers sa mère. Empathie pour Agathe sur qui pèse un poids bien trop lourd pour ses jeunes épaules, colère et révolte envers le sadisme et la perversité de sa mère mais aussi empathie face à sa souffrance.
Une enfant seule face à la folie de sa mère-poisson, coincée dans un inextricable huis-clos. Nathalie Kuperman crée un climat pesant et inquiétant, même si l'inéluctable est pressenti dès le départ, elle parvient à maintenir habilement un certain suspense tout au long de ces vacances cauchemar.
Elle explore finement les sentiments contradictoires qui agitent Agathe entre amour et haine. Elle développe sans aucune fausse note, sans jamais forcer le trait, ses pensées et ses émotions ou sentiments (honte, incompréhension, inquiétude, peur, rage, colère, amour fou... ) adoptant à merveille la voix et le regard d'une enfant de onze ans. Une Agathe qui inverse les rôles laissant par exemple sa mère gagner leur course vers la mer, qui la protège, qui ne veut pas l'abandonner, qui cherche à la consoler, qui s'adapte à tous ses caprices, qui ne peut pas se passer d'elle, qui la déteste tout en l'aimant à la folie.
C'est parce que cette histoire est racontée par le regard de l'enfant qu'elle émeut autant. Un écrit à hauteur d'enfant déchirant du début à la fin avec un dernier chapitre de toute beauté... Un grand livre.
Citations
" C'est quoi, n'être rien pour personne ? C'est vouloir se déchirer en deux et exhiber ses tripes pour que quelqu'un vous prenne en affection. Poser une tête dans un cou et se dire que la vie peut prendre forme dans cette position-là."
" Elle était un paysage en mouvement dont je guettais la moindre nuance, de crainte de la voir s'installer dans l'une de ces émotions qui pourraient faire basculer les heures à venir."
L'auteure
Nathalie Kuperman est l'auteur d'une dizaine de romans parmi lesquels Nous étions des êtres vivants, Les Raisons de mon crime, La Loi Sauvage (Gallimard, 2010,2012, 2014) et Je suis le genre de fille (Flammarion, 2018) qui a connu un vif succès critique et public. (Source : éditeur)
Photo Astrid di Crollalanza © Flammarion
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