Date de parution : janvier 2023 chez Buchet Chastel
Nombre de pages : 128
1967. Elle a trente ans, trois enfants de sept, cinq et quatre ans et trente-trois hectares de ferme dans un village isolé du Cantal. Ils ne sont pas pauvres, ils ont les moyens d'employer un vacher, un commis et une bonne.
Avec trois enfants petits, elle est dépassée malgré la présence de la bonne et vit la peur au ventre pour elle et pour ses enfants, le corps déformé par les grossesses, à la merci de son mari, une brute qui la soumet aux pires violences physiques et psychologiques, son mari la voit comme "molle, nulle et vide" et l'accuse de se laisser aller.
"Il est pire qu'une bête, les bêtes ne sont pas méchantes, les bêtes ne parlent pas pour dire des mots qui sont pire que les coups... Ils se sont mariés un 30 décembre, et elle pense souvent qu'elle est entrée, en se mariant avec lui, dans une sorte d'hiver qui ne finira pas."
Elle ne comprend pas pourquoi elle n'a jamais cherché à s'enfuir alors qu'elle vit dans une angoisse permanente. "Elle ne se comprend pas... Elle rumine sa vie, les sept dernières années, depuis le mariage. Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée, une vache fourbue ; elle rumine et elle attend." Isolés, ils ne voient personne, tout le monde sait mais personne ne peut lui venir en aide et, de toutes façons, elle fait tout pour sauver les apparences, tenir son rang.
Le 11 juin 1967, ils descendent comme régulièrement le dimanche chez ses parents, c'est un dimanche ordinaire... La jeune femme va alors faire quelque chose d'inconcevable à l'époque.
C'est un plaisir de retrouver le style inimitable de Marie-Hélène Lafon dans ce récit très visuel sans dialogues où les personnages ne sont pas décrits physiquement mais nous parlent par l'intermédiaire de leur corps, de leurs gestes. L'écriture épurée va à l'essentiel, la violence sourde, omniprésente n'est jamais décrite, on la ressent simplement. Tout est suggéré, chaque mot est pesé, d'une extrême précision. Des lieux prégnants, une maison personnage à part entière, la terre et l'orgueil omniprésents, on ressent tout le poids de l'isolement et de la solitude de cette femme à qui Marie-Hélène Lafon n'a pas attribué de prénom. Les personnages sont rudes, durs au mal, Marie-Hélène Lafon nous fait magnifiquement bien accéder à leurs pensées.
La construction est intéressante car elle nous plonge dans la tête de la jeune femme puis surtout, sept ans plus tard, dans celle de son mari ce qui rajoute une dimension indéniable à ce texte en le nuançant. Marie-Hélène Lafon nous fait toucher du doigt la complexité de cet homme qui traite sa femme comme ses bêtes, qui va être complètement dépassé par ce qui s'est passé, un homme qui parvient à nous émouvoir. Pour conclure, dans une troisième période quarante ans après, ce sont les pensées de la fille cadette qui nous sont livrées alors qu'elle revient fermer la grille de la ferme.
Une histoire d'émancipation sur fond d'évolution sociétale majeure, une histoire apparemment toute simple mais essentielle comme toujours avec Marie-Hélène Lafon. Un texte très pudique sans aucun pathos ni jugement. Un petit bijou à lire tout doucement pour en apprécier encore mieux la profondeur..
Pour Cathulu ce roman concentre des émotions d'une rare puissance, au plus près des corps.
Citation
" Elle tourne et retourne les mots qui font autant de dégâts que les coups, peut-être même davantage parce qu'ils ne la lâchent pas et lui tombent dessus au moment où elle s'y attend le moins."
L'auteure
Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Tous ses romans sont publiés chez Buchet-Chastel. (Source : éditeur)
Lus de cette auteure
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Un très bon livre, oui, j'ai aimé surtout les pensées de cet homme, elles font sourire par moment, il ne comprend pas le pourquoi, effectivement dépassé par la situation. J'aime le choix du titre: les sources, là, effectivement, elles n'auraient pas du se croiser..
RépondreSupprimerChantal.
Donner la parole au père est vraiment la grande réussite de ce magnifique roman.
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