Date de parution : janvier 2021 chez Notabilia
Nombre de pages : 214
Clara est chargée de clientèle dans une société de crédit, elle "vend de l'argent". Douze ans plus tôt, elle a dû renoncer à son rêve d'allier sa passion des langues et des voyages en enseignant le français à l'étranger.
Ce matin-là Clara s'effondre, elle ne peut pas retourner travailler, quelque chose lâche chez cette jeune femme oppressée en permanence par les objectifs impossibles à atteindre, les phrases qui blessent, les remarques acerbes de sa chef "le toujours plus, le jamais assez"... La veille, un rendez-vous avec un couple de personnes âgées lui a fait mesurer l'inhumanité de son travail.
" Clara, la vaillante, vacillante. Une lettre en plus qui dit l'effondrement. Une lettre qui se faufile au milieu de la vaillance, la coupe en deux, la cisaille, la tranche. Une lettre qui dessine une caverne, un trou où elle tombe, un creux, une lettre qui l'empêche de retrouver celle qu'elle était, entière, debout."
Ces derniers temps elle a été dévorée par son travail à cause d'une
promotion qui la stresse, qui décuple la pression sur elle. Son
couple avec Thomas en a souffert, quand elle
s'effondre il la soutient un temps, tente de la secouer puis finit par
se lasser, impuissant devant son état dépressif. Des mois de solitude et de vide s'ouvrent devant Clara " Salariée à terre et amoureuse délaissée, son monde a éclaté, c'est un univers vide qui lui tient lieu de vie."
J'ai lu ce roman deux fois. Je l'ai dévoré une première fois dans le plaisir de la découverte d'un nouveau texte de cette auteure que j'affectionne tout particulièrement, une deuxième fois à distance pour savourer chacun des mots de cette magicienne des mots.
Gaëlle Josse a le don de transcender par son écriture un sujet somme toute assez classique, maintes fois traité en littérature. Les mots dépression et burn-out ne sont jamais écrits, mais c'est bien de cela dont il s'agit, d'une plongée dans les eaux noires de la perte du goût de tout. "Plus de désir, plus de joie, plus d'appétit, pour rien."
Gaëlle Josse accompagne son héroïne Clara au plus profond de sa détresse à partir de sa chute brutale, le jour où, prise dans un piège où elle s'est laissé enfermer, il ne lui a plus été possible de continuer. Elle est près d'elle lorsque Clara passe des heures sur son canapé, désœuvrée avec la sensation de se sentir "ensablée, engluée" n’éprouvant plus aucun désir.
Puis elle l'accompagne sur le chemin vers la reconstruction, un chemin qui passe par une jolie bulle d'amitié auprès de son inconditionnelle amie d'enfance avec les envies qui reviennent peu à peu tout doucement, l'envie d'un bouquet de tulipes, d'un livre... "Le désir et la faim. Ça revient, doucement, à petits pas, mais c'est là." Un passage de l'obscurité à la lumière qui se fait lentement pour cette jeune femme à la quête d'une place, d'un sens à sa vie, une femme qui n'a jamais voulu décevoir ses parents en particulier son père qui n'a manifesté qu'indifférence envers son frère aîné qui l'avait déçu par ses choix professionnels. "Depuis toujours, petite fille sérieuse qui guette l'approbation, le sourire, la récompense... Bonne élève. Sérieuse, si sérieuse. Pas de vagues. Jamais de vagues". Une reconstruction après la chute, un chemin pour se façonner une nouvelle vie. "Une voie d'accès vers elle-même, et vers tous ceux qui n'en peuvent plus de serrer les dents."
Un texte introspectif d'une infinie douceur au rythme lent comme la reconstruction de Clara. Une écriture poétique et ciselée. Un texte d'une infinie humanité dans lequel l'empathie et la bienveillance de Gaëlle Josse illuminent chaque page. Délicatesse et humanité sont sans doute les mots qui résument le mieux ce roman qui met en scène une héroïne dont on se sent très proche, une jeune femme que Gaëlle accompagne, sans la juger, sans la blâmer, d'une main consolatrice sur l'épaule comme elle l'indique si joliment sur la couverture "J'ai voulu écrire un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule". Un roman lumineux dans lequel Gaëlle Josse nous pousse à nous interroger sur les vrais valeurs de la vie.
Citations
"Elle aimerait qu'une main douce se pose sur son épaule et la
raccompagne chez elle, comme une enfant. Mais elle n'est plus une enfant
et elle n'a pas vraiment aimé l'enfance."
"Elle pense à faire un vœu. Je voudrais être émerveillée. Elle
se répète ce mot, émerveillée. Un mot qui se lit dans les yeux, dans
leur incrédulité éblouie, dans un invisible soulèvement de tout l'être.
Elle aime ce mot qui lui vient de l'enfance, les merveilles. Des images
pour toute la vie sous les paupières."
"Que faire des jours, que faire du temps, de ces journées qui s'étirent,
sans saveur et sans parfum? Le temps naguère si tendu, si segmenté, est
devenu un bloc mou, une matière poisseuse qu'il faut grignoter, éroder
minute par minute, dans un parcours aux contours indistincts, sans
repères, sans angles, sans prises, un continuum grisâtre qui
s'autodévore dans une lenteur infinie."
"Elle pense à ce mot, la reverdie, un mot démodé qu'elle avait trouvé
joli, lu dans un livre il y a longtemps. Quant tout revient, en force,
en beauté, en joie, en énergie. Ce mouvement entêté de la lumière, de
l'oxygène et de la sève, qui ramène vers la vie. Les beaux jours ont
chassé le froid avec lenteur et obstination, dans une avancée incertaine
mais sans retour."
L'auteure
Venue à l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman Les Heures silencieuses en 2011, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et Noces de neige
en 2013. Également parus en édition de poche, ces trois titres ont
remporté plusieurs prix, dont le prix Alain-Fournier en 2013 pour Nos vies désaccordées. Ils sont étudiés dans de nombreux lycées et collèges, où Gaëlle Josse est régulièrement invitée à intervenir. Aux Éditions Notabilia/Noir sur Blanc, Gaëlle Josse a publié cinq romans : Le Dernier Gardien d’Ellis Island, L’Ombre de nos nuits, Une longue impatience, Une femme en contre-jour et Ce matin-là. Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie
clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle
travaille à Paris et vit en région parisienne. Elle anime, par ailleurs, des rencontres autour de l’écoute d’œuvres
musicales et des ateliers d’écriture auprès d’adolescents et d’adultes. Gaëlle Josse a reçu le prix 2015 de littérature de l’Union européenne pour Le Dernier Gardien d’Ellis Island. (Source : éditeur)
Lus de cette auteure
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Entièrement d'accord avec toi, une vraie magicienne des mots, capable de nous faire ressentir l'état de Clara sans en faire des tonnes
RépondreSupprimerOn n'est jamais déçus avec elle, oui c'est une vraie magicienne des mots 😉
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